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l'Ankou pris en stop

Jean Pierre.
Permettez moi de vous parler de Jean Pierre.
Jean Pierre, comme il l'aime à dire, est né à Lambé. En fait, il est né à la clinique Saint Louis de Brest au mileu des années 50. Mais qui dit:"Je suis né à la clinique UNTEL"? Aussi Jean Pierre s'enorgueillit d'être de Lambé et fanfaronne à tout va: "Je ne suis né à Lambé!". Oui, mais Jampi (Jean Pierre est tellement gentil et serviable qu'il a naturellement hérité d'un diminutif: Jampi) n'a pas révendiqué ses origines depuis toujours. Laissez moi vous raconter:
Après une enfance et une adolescence heureuse ( Normale, quoi !) et une scolarité honnête, Jampi a passé le concours des postes pour devenir facteur (ou préposé, je ne sais plus très bien le titre exact). Bref, ayant passé le concours avec succès, notre Jampi monte à la capitale pour son premier emploi. Là, il est un peu désorienté, mais est tout de suite pris en charge par des anciens "de Bretagne" qui lui expliquent le travail, lui trouvent un petit logement sympa à Montparnasse et l'intronisent dans les cercles celtiques de la diaspora bretonne à Paris. Bref, durant les 6 années passées à Paris notre Jampi qui ne connaissait rien à la culture bretonne devient un chantre  de la celtitude. Tout y passe: Il se fait appeler Yann, il apprend les danses bretonnes et est de tous les festou-noz organisés par l'amicale, il apprend le Breton, il joue de la bombarde, et il commence à revendiquer ses origines:"Je suis né à lambé!". Ce qui n'était pas forcément intelligent en pleine période d'activité de l'ARB (Armée Révolutionnaire Bretonne). Tout cet activisme lui aura d'ailleurs valu quelques ennuis, notre Jampi expliquant à tout va et à qui mieux mieux le mode opératoire de ces actions terroristes, mais passons.


Donc, voici notre Jampi "Brezhonnec à fond" qui obtient sa mutation vers un bureau de postes aux environs des monts d'Arrée. INESPERE, pour notre Jampi national qui n'en dort presque plus, fait des aller-retours tous les week-ends pour repérer les lieux, chercher un logement digne de sa personne, revoir les vieilles connaissances et claironner à tout va:" Préparez-vous Jampi revient"...

Et Jampi est revenu ! Et Jampi a continué comme à Paris: Festou-Noz, etc. Et bien sûr la distribution de courrier. Et il n'y avait rien à dire; Jampi était très professionnel et son penchant naturel l'amenait à se couper en quatre pour rendre service. Et un facteur dévoué en milieu rural, c'est plutôt bien vu.

Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com/ )

Mais Jampi avait d'autres particularités.
La première était plutôt amusante; s'il était passé maître dans l'art du Kan Ha Diskan et ne jurait que par la culture bretonne, il faisait une exception pour la chanson de Georges Moustaki «  Le jeune Facteur ». Chanson qu’il avait élevé au rang d’hymne et qu’il pouvait vous décliner dans sa version originale, comme sur des airs de Gavotte, An dro, Plinn et j’en passe. En vérité, Jampi pouvait animer tout un Fest-Noz, uniquement avec « son facteur » chanté à toutes les sauces.
La deuxième particularité était moins amusante. Si Jampi était très serviable, il était malheureusement affublé d’un physique si ingrat que toute tentative d’approche vers le beau sexe était perdue d’avance. Donc Jampi se faisait des copains, et pour se faire des copains, il faisait la tournée des «chapelles». Tournées parfois très longues et fatigantes car Jampi avait beaucoup, mais vraiment beaucoup de copains. Notamment un dénommé Yffic. Yffic était presque un frère pour Jampi et on ne les voyait que rarement l’un sans l’autre. Ce qui nous amène au cœur de notre histoire.
Ce weekend là, c’était la fête du village, et le receveur lui avait octroyé le véhicule professionnel pour aider à la logistique. Donc Jampi roule à droite et à gauche pour charger soit des chaises, soit la sono, soit du matériel électrique, enfin tout quoi ! Et tout cela avec son bonne humeur légendaire. Puis est venu le temps de la fête proprement dit: Fest-Noz le samedi soir, messe dominicale, repas champêtre, et re-Fest-Noz, mais plus restreint, le dimanche soir. Jampi était de toutes les manifestations (sauf, il me semble, de la messe) avec son alter égo «Yffic ». Et c’est pas pour dire, mais Yffic avait fait fort. Tellement fort que le dimanche soir, il est rentré de bonne heure «avec un bon coup dans son nez et que sûr il allait avoir son pegement avec sa mère dès qu’il aurait passé la porte de la maison (faut vous dire qu’Yffic était célibataire _ tout comme Jampi). Donc notre Jampi se retrouve seul à la fête et s’époumone à qui mieux-mieux pour que la soirée soit réussie.
Peu après minuit, voilà notre Jampi qui rentre chez lui, à bord de la 4L des PTT. Chemin faisant, la nature lui rappelle soudain que sa vessie avait beau être grande et bien entrainée, il valait mieux qu’il aille bénir quelques fleurs de talus avant la rupture de la digue. Et Jampi arrête la voiture jaune, au milieu de nulle part, dans une entrée de champ. Pendant qu’il est à son affaire, Jampi aperçoit un vieil homme  grand, décharné et avec un grand chapeau à l’ancienne, un peu comme sur les gravures de chouans, assis de l’autre côté du talus près d’une vieille « karriguel » qui n’en avait sûrement plus pour longtemps à vivre, et qui semblait être embourbée dans le lagenn. Jampi interpelle le vieux paysan, qu’il n'arrivait pas à reconnaître dans l’obscurité, et l'invite à monter à bord de son véhicule afin de le rapprocher du bourg voisin. Devant le manque de réaction de ce dernier, Jampi le prend par le bras et le monte de force à l’arrière de la 4L, tout en se faisant la réflexion que l'ancien pourrait se laver un peu plus souvent vu l’odeur qui émanait de ses vêtements .

Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com/ )
Et, après avoir fait coulisser à fond la demi-vitre côté chauffeur pour pouvoir respirer un peu d'air pur, Jampi roule, conversant tout seul, car son passager manifestement préférait garder la bouche close. Chemin faisant, la voiture passe devant la maison des parents d’Yffic. Jampyi ne peut s’empêcher de remarquer que malgré l’heure avancée, la lumière est allumée dans la chambre de son compère. "Je croyais que celui-ci avait eu son compte"  dit Jampi à son passager pour essayer de meubler "J'espère que sa mère ne l'a pas vu, car bu comme il était il aurait reçu son pegement!". N’obtenant toujours pas de réponse, Jampi se retourne vers l’arrière de la voiture et voit que celle-ci est vide. Si Jampi n’est pas facilement impressionnable, là ça lui en a mis un coup. « Pas possible, mieux que Majax à la télé » pense t il à voix haute pour se rassurer, car il est estomaqué et un peu craintif quand même. Le bon côté de la chose était que l’on pouvait à nouveau respirer normalement dans la voiture.
Le lendemain matin, en montant dans la 4L pour reprendre son service, Jampi voit une lettre, adressée à la mère d’Yffic, qui traîne dans le vide poche de la voiture. lettre qui ne rappelle rien à Jampi; comment aurait-il pu oublier une lettre, surtout pour la mère d'Yffic? Comme la maison est sur sa route, Jampi s’arrête pour remettre immédiatement le courrier « en retard ». Pas perdu! Pas égaré! En retard !!!
En arrivant tout joyeux sur le pas de la porte, il sent quelque chose de bizarre dans l’atmosphère de la maisonnée. A son regard questionneur, la maitresse de maison, les yeux rougis, lui annonce qu' Yffic est mort dans la nuit vers 1h du matin après avoir appelé après lui à plusieurs reprises.
En entendant ces mots, Jampi s’est rappelé de l’étranger qu’il avait pris en stop peu après minuit, et qui avait disparu juste devant la maison, et a senti ses jambes se dérober sous lui sous l’effet d’une peur panique rétrospective.
Je peux vous assurer que depuis cette date, Jampi n’a jamais plus utilisé la voiture de l'administration en dehors des heures de service.

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Date de dernière mise à jour : 21/07/2017