Vallée endormie_VL


La légende de la vallée endormie _ Version LongueLord blackwood 73

d'après : The Legend of The Sleepy Hollow
by Washington Irving           
Translated, adapted and retold by Armanel _ Lord of Blackwood


Au sein d'une de ces criques spacieuses qui dentellent le rivage oriental d’Erin se trouve un petit port de cabotage, qui est appelé Greensmouth, mais qui est plus généralement connu sous le nom de Pubmouth car tous les hommes des environs, qu’ils soient marins ou fermiers font régulièrement une halte dans un des nombreux bars qui tapissent ses ruelles étroites. 
Pas loin de ce village, à peut-être environ trois kilomètres de là, il y a une petite vallée blottie parmi de hautes collines, et qui est un des endroits les plus calmes dans le monde entier. Un petit ruisseau coule là, dont le murmure apaise celui qui vient pour se reposer, et où le sifflement occasionnel d'une caille est presque le seul son qui trouble parfois la tranquillité du lieu.
Le calme de l'endroit et le caractère particulier de ses habitants, ont fait que cette vallée isolée a longtemps été connue sous le nom de la VALLEE ENDORMIE et ses habitants sont appelés les Rêveurs partout dans tout le pays. Une ambiance somnolente et rêveuse semble s'accrocher à la terre et se répandre de l'atmosphère. Certains disent que l'endroit a été ensorcelé par un le sorcier Taraod, dès le début du grand transbordement. Il est certain que l'endroit est toujours sous l'emprise du pouvoir de ce sorcier multi centenaire, qui tient les esprits des bonnes gens sous son charme, les enfermant dans une rêverie continuelle. Les habitants possèdent toutes sortes de merveilleuses facultés et voient fréquemment des choses étranges et entendent de la musique et des voix venues de nulle part. Et partout dans le pays on ne parle que des contes locaux, des maisons hantées et des apparitions crépusculaires. Les étoiles filantes et la lumière éblouissante des météores éclairent la vallée plus souvent que toute autre partie du pays.
Parmi tous les évènements étranges que l’on peut apercevoir dans cette vallée, le plus effrayant est surement l'apparition d'un cavalier décapité. Ce serait le fantôme d'un soldat dont la tête avait été emportée par un grand coup d’épée pendant la Grande Révolution et qui galope dans les ténèbres, comme sur les ailes du vent. Il ne hante pas que la vallée, mais rôde de temps en temps sur les routes adjacentes et particulièrement au voisinage d'une église bien précise. En effet, certain des historiens certifient que son corps a été enterré dans le cimetière, et que le fantôme retourne sur la scène de la bataille dans la recherche de sa tête mais qu’il doit revenir au cimetière avant l'aube.
Voila l’histoire de cette superstition légendaire, et on connaît le spectre, sous le nom du Cavalier Sans Tête de la VALLEE ENDORMIE.

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Ce qui est remarquable est que la capacité visionnaire n'est pas limitée aux habitants natifs de la vallée, mais est systématiquement transmise à chaque individu qui réside là ne serait ce que pour peu de temps. Aussi rationnels qu'ils puissent avoir été avant qu'ils ne soient entrés dans cette région somnolente, ils sont certains, en peu de temps, de tomber sous l'influence du sorcier et de commencer à devenir imaginatifs, faire des rêves et voir des apparitions.

C’est là qu’a vécu, il y a bien longtemps, Ichabod Crane, venu dans le but d'instruire les enfants de la vallée endormie. Il était grand, mais extrêmement grêle, avec des épaules étroites et de longs bras. Sa tête était petite avec des oreilles énormes et de grands yeux verts. Quand on le voyait marcher on le prenait pour un épouvantail enfui d'un champ de blé.
Il avait aménagé son école dans une maison basse, grossièrement construite en rondins; les fenêtres en partie vitrées et en partie bouchées avec les feuilles de vieux cahiers. L'école était située un peu à l’écart du village mais dans un endroit agréable, juste au pied d'une colline boisée, avec un ruisseau coulant près d'un bouleau immense. D'ici on pouvait entendre le murmure bas des voix de ses élèves, suant sur leurs leçons, comme le bourdonnement d'une ruche interrompu de temps en temps par la voix autoritaire du maître. C’était un homme consciencieux et il suivait la maxime d'or, "Qui aime bien châtie bien."
Le revenu résultant de son école était à peine suffisant pour pourvoir à son pain quotidien, car Ichabod était un mangeur énorme et, quoique grêle, avait les capacités de digestion d'un anaconda. Mais il était, selon la coutume de ce pays, logé dans les maisons des fermiers dont les enfants allaient à l’école. Ichabod y passait successivement une semaine à la fois, et circulait ainsi dans le voisinage, avec tous ses effets réunis dans un baluchon de coton.
Cela n’était pas trop pénible pour le porte-monnaie de ses logeurs, car Ichabod savait se rendre utile et agréable. Il aidait les fermiers aux travaux de la ferme, aidait à faire les foins, à réparer les barrières, à conduire les vaches au pâturage et à couper du bois pour l’hiver. Ichabod savait aussi s’attirer les bonnes grâces des mères en s’occupant des enfants, particulièrement les plus jeunes, et il n’hésitait pas à s’asseoir avec un enfant sur les genoux ou à balancer un berceau de son pied pendant des heures entières.

En plus de ses autres talents, il était maître de chant et a gagné quelque argent en apprenant aux jeunes à chanter. Tous les dimanches, il dirigeait la chorale de l’église. Ainsi, par tous ses petits expédients divers, il a pu avoir une vie relativement facile.

Le maître est généralement un homme d'une certaine d'importance dans le cercle féminin rural; considéré comme bien éduqué, supérieur aux soupirants grossiers du pays et, à peine inférieur au maire ou au pasteur. Son apparition créait donc une  petite agitation à la table où il était invité pour le thé et obligeait à l'addition d'un plat de gâteaux ou des sucreries supplémentaires, et, parfois, à la parade, exceptionnelle, d'une théière d'argent. Notre homme de lettres, donc, était singulièrement heureux parmi les sourires de toutes les demoiselles de pays, tandis que les jeunes hommes plus timides se tenaient timidement en arrière, en enviant son élégance.

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De par sa vie semi vagabonde, Ichabod était aussi une sorte de gazette voyageuse, rapportant le commérage local dans la maison où il allait loger. Il était, de plus, considéré par les femmes comme un homme de grande érudition, car il avait lu plusieurs livres et connaissait par cœur le grand livre de Taraod "l'Histoire de la Sorcellerie," auquel tout le monde croyait, et que tout le monde craignait.
Son appétit pour le merveilleux était extraordinaire. Aucun conte n'était trop fou ou  trop monstrueux pour son imagination. C'était son plaisir, après que l’école soit finie, de se rendre sur le lit de trèfle bordant le petit ruisseau et de lire les contes épouvantables du vieux Taraod, jusqu'à ce que le crépuscule obscurcisse le livre devant ses yeux. Alors, Ichabod se rendait à travers bois et marais, à la ferme où il logeait, en écoutant chaque son de la nature, ce qui faisait bouillir son imagination excitée ; le cri du crapaud, la huée morne du chat-huant, le bruissement soudain dans le fourré d'oiseaux effrayés de leur perchoir. Les lucioles, aussi, qui éclairaient de façon éclatante les endroits les plus sombres; et si, par hasard, un imbécile de scarabée se heurtait contre lui, le maitre d’école était prêt à rendre l'âme, avec l'idée qu'il avait été frappé par la baguette d'une sorcière. Sa seule ressource dans de telles occasions, pour calmer ses esprits, était de chanter des psaumes et les bonnes gens de la VALLEE ENDORMIE, assis à prendre le frais sur le pas de leurs portes, étaient souvent remplis de crainte à l'audition de sa mélodie.

Une autre de ses sources de plaisir était de passer des longues soirées d'hiver avec les vieilles femmes filant près du feu, avec une rangée de pommes rôtissant et crépitant le long du foyer et d’écouter leurs merveilleux contes de fantômes et de lutins et de maisons hantées qu’elles racontaient, et particulièrement l’histoire du cavalier sans tête.

Mais, bien sûr, aucun spectre n'avait osé montrer son visage devant notre instituteur. Pourtant combien de fois Ichabod  a-t-il été épouvanté par un arbuste couvert de neige, qui, comme un spectre barrait son chemin! Combien de fois a-t-il ralenti sa marche au son de ses propres pas sur la croûte glaciale des chemins gelés; et quel effroi le poussait à regarder derrière lui par-dessus son épaule! Mais tout ceci, cependant, n’étaient que les simples terreurs de la nuit, les imaginations de son esprit dans l'obscurité.
 
Lors d’une répétition de chants, Ichabod fit la connaissance de Katrina, la fille unique d’un riche fermier. C’était une jeune fille de dix-huit ans, célèbre pour sa beauté. Elle était en outre un peu coquette.et aimait les belles robes et les bijoux.
Ichabod était tombé amoureux de la belle Katrina qui habitait chez son père sur les rives de la Stern River, dans un petit paradis vert abrité et fertile. Un grand orme y étend ses larges branches au pied duquel coule une source d’eau la plus douce. La ferme possédait une grange énorme, qui aurait pu servir d’église. Des porcs grognaient dans leurs parcs. Un escadron majestueux d'oies neigeuses allait dans un étang attenant convoyant les flottes entières de canards.
Le pédagogue salivait d’avance à l’idée de tous les bons repas qu’il pourrait préparer
en se voyant marié à la demoiselle qui devait hériter de ces domaines et son imagination lui faisait miroiter comment ils pourraient être aisément métamorphosés en argent et l'argent investi dans des étendues immenses de terrain sauvage .
Ichabod se voyait déjà marié à Katrina , avec une flopée d'enfants, au sein d’un beau château entouré de grands domaines.

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Quand il entra dans la ferme son cœur fut conquis par la beauté de cette ferme spacieuse qui contenait tous les outils que l’on pouvait imaginer tant pour les travaux de la ferme que pour les travaux domestiques. Le mobilier de la cuisine et de la salle à manger étaient dignes d’un prince, et celui des chambres était digne d’un roi.
Du moment où Ichabod a mis ses yeux sur ces trésors, sa seule ambition était de gagner l’amour de la fille. Dans cette entreprise, cependant, il y avait une difficulté plus grande que celles d’un chevalier errant d'autrefois qui devait combattre des géants, des enchanteurs, des dragons ardents et se frayer un chemin simplement par la force de son épée et briser les murs du château où la dame de son cœur a été enfermée. Ichabod devait gagner le cœur d'une coquette, faire face à un labyrinthe de caprices, et des caprices qui présentaient pour toujours de nouvelles difficultés; Et il devait affronter une foule d'adversaires, les nombreux admirateurs qui papillonnaient autour de la belle Katrina.

Parmi ceux-ci, le plus robuste s’appelait Brom. Il était large d'épaules, avec des cheveux noirs bouclés. Il était célèbre pour son grand savoir et son habileté dans le talent de cavalier. Il était vainqueur à toutes les courses; et, avec sa sagesse, était l'arbitre dans tous les conflits, et donnait ses décisions avec un air et un ton qui n'a jamais admis aucune contradiction.
Parfois on entendait sa troupe de cavaliers se précipitant au milieu des fermes à minuit, criant et hurlant, comme une troupe de Cosaques; et les vielles dames, effrayées dans leur sommeil, écoutaient passer la bande de Brom. Les voisins le considéraient avec un mélange de crainte, et d'admiration.
Ce Brom avait depuis quelque temps choisi Katrina comme objet de ses galanteries et quoique qu’il se conduise comme un ours, elle ne l'a pas découragé. Ce qui a fait que les autres prétendants se sont prudemment retirés car il n’est pas très bon de se trouver en travers du chemin d’un homme comme Brom
Tel était le rival formidable avec qui Ichabod Crane a dû lutter et, un homme plus vaillant que lui se serait dérobé à la concurrence et un homme plus sage aurait désespéré. 

Se déclarer ouvertement contre son rival aurait été la folie; car Brom n'était pas un homme à être contrecarré dans ses affaires. Ichabod, donc, a fait ses avances d'une façon calme et discrète. Sous le couvert de son activité de maître de chant, il a fait des visites fréquentes à la ferme. Le fermier était une âme indulgente; il aimait sa fille mieux que lui même, et comme un père affectueux, la laissait agir à sa guise en tout. 
Ichabod faisait sa cour à la fille sous le grand orme, ou en flânant dans la pénombre, à cette heure si favorable aux amants.
Du moment où Ichabod Crane a fait ses avances, Brom a apparemment été oublié par Katrina: on n'a plus vu son cheval venir à la ferme le dimanche soir et une querelle mortelle a progressivement surgi entre lui et le précepteur de la VALLEE ENDORMIE.

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Brom, qui était bon cavalier et expert dans le maniement de l’épée, aurait bien aimé défier Ichabod en duel. Mais lchabod a toujours refusé de se battre et profitait de son éducation pour trouver des arguments afin de tourner Brom en ridicule. Alors Brom a menacé de faire appel aux lutins noirs qui peuplaient le fond de la vallée.
A partir de ce jour, les ennuis ont commencé pour Ichabod. Son environnement jusqu'ici paisible a été tourmenté de mille façons: l’école a été enfumée en bouchant la cheminée pendant les répétitions de chant, tout a été retourné sens dessus dessous à l’école pendant plusieurs nuits malgré les barreaux aux fenêtres. A tel point que le pauvre Ichabod avait commencé à penser que toutes les sorcières du pays tenaient leurs réunions là. 
Mais ce qui était plus ennuyeux c’est que Brom profitait de toutes les occasions possibles pour se moquer d’Ichabod en présence de Katrina : il avait même dressé un chien à geindre de la façon la plus ridicule et le présentait comme un rival d'Ichabod, dans le domaine du chant.
Les choses ont continué de cette façon pendant quelque temps, sans produire d’effet substantiel. 
Un après-midi, Ichabod, observait ses élèves qui étaient particulièrement dissipés, tandis que sur le bureau trônaient des articles qu’il avait du confisquer, comme des pommes à demi-mâchées, des pistolets à bouchon, et des toupies. Une sorte de calme bourdonnant régnait dans la classe. Il a été soudainement interrompu par l'apparition d'un homme petit et noir vêtu de haillons et d’un chapeau troué, et monté sur un poulain sauvage qu'il dirigeait avec une corde en guise de  rênes. Le petit homme noir est venu jusqu'à la porte de l’école porter à Ichabod  une invitation pour assister à la veillée d’Halloween dans la ferme du père de Katrina; et l'ayant  transmise, il a bondi par dessus le ruisseau et on l’a vu galoper, loin vers le fond de la vallée endormie.

La classe finie, Ichabod a passé plus d’une heure à sa toilette devant le miroir cassé accroché dans l'école, et au brossage et dépoussiérage de son costume noir. Et pour apparaître devant Katrina dans le vrai style d'un cavalier, il a emprunté au fermier colérique surnommé l’Eventreur, où il était domicilié, un vieux cheval appelé Poudre et s’est retrouvé ainsi courtoisement monté, comme un chevalier errant à la recherche d'aventures. Mais L'animal sur lequel il est monté était un cheval d'attelage bon pour la retraite, qui avait survécu presque à tout sauf à sa méchanceté. Il était décharné et velu, avec un cou de brebis et une tête comme une enclume; un œil avait perdu sa paupière et lançait un regard furieux et spectral, et dans l'autre il y avait la lueur du diable. Tout de même il était plein de feu et de caractère car il avait mérité le nom de Poudre. Il avait, en fait, été le coursier préféré de son maître, l'Éventreur, qui était un cavalier furieux et avait infusé, très probablement, un peu de son propre esprit dans l'animal; puisque vieux et décharné comme il était, il y avait plus de diable se cachant en lui que dans n'importe quel jeune étalon du pays.

Ichabod montait fièrement ce beau coursier. Il avait réglé ses étriers courts, ce qui avait pour effet de remonter ses genoux presque jusqu'au pommeau de la selle, comme les jockeys de course; ses coudes écartés comme des pattes de sauterelles; il tenait son fouet perpendiculairement dans sa main, comme un sceptre et son cheval surexcité semblait voler plus que galoper. Telle était l'apparence d'Ichabod et de son coursier pour le grand jour.

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C’était une belle soirée d’automne, le ciel était clair et serein. Les forêts avaient revêtu leur costume brun sobre et ocre.

Comme Ichabod avançait lentement sur le chemin, son œil, toujours à l’affût des signes d'abondance, observait avec plaisir les trésors de l'automne. De tous les côtés il voyait les promesses énormes de pommes: certaines déjà récoltées dans des paniers et des barils pour le marché; d'autres entassés pour le pressoir à cidre. Plus loin il a contemplé les grands champs de sarrasin, avec la promesse de gâteaux et de pouding; et les potirons jaunes se trouvant au-dessous d'eux, remontant leurs ventres ronds au soleil et donnant des perspectives de tartes succulentes. 
 Le soleil a progressivement décliné vers l’ouest. Quelques nuages d'ambre ont flotté dans le ciel, sans un souffle d'air pour les déplacer. L'horizon était d'une bonne teinte d'or.
Quand 'Ichabod est arrivé au domaine du fermier, il s’est retrouvé avec la fine fleur du pays dans leurs manteaux brodés d’argent, leurs hauts-de-chausses, leurs chaussures énormes et des boucles d'étain magnifiques. Leurs dames, toutes coquettes, dans des robes serrées à la taille. Les jeunes filles en robe blanche. Les fils, dans des manteaux brodés, avec des rangées de boutons extraordinaires de cuivre et leurs cheveux en queue de cheval dans la mode de l’époque. 

Brom était le héros de la fête, étant venu à la réunion sur son coursier préféré, une créature, comme lui, pleine de caractère et d’espièglerie et que personne d’autre que lui-même ne pouvait monter. 
En arrivant, Ichabod fut émerveillé parles plats prévus pour le repas :
Des montagnes de plateaux de gâteaux Il y avait des beignets moelleux, et des beignets craquants; des gâteaux sucrés et gâteaux amers, des gâteaux au gingembre et des gâteaux de miel et toutes autres sortes de gâteaux. Et ensuite il y avait des tartes aux pommes et des tartes de pêche et des tartes à la citrouille; en plus des tranches de jambon et de bœuf fumé; et les plats des plus délectables de prunes de pêches et poires et de coings; n’oublions pas de mentionner les écrevisses grillées et les poulets rôtis.
Le Vieux fermier, père de Katrina se déplaçait parmi ses invités avec un visage éclairé par la bonne humeur. Ses attentions étaient brèves, mais expressives, limitées à une poignée de main, une claque sur l'épaule, un rire fort et une invitation urgente « à se servir au buffet »

Et maintenant le son de la musique montait de la salle commune, invitant à la danse. Le musicien était un vieux vagabond, qui animait les fêtes du voisinage depuis un demi-siècle. Son instrument était aussi vieux et vermoulu que lui-même. La plupart du temps il grattait deux ou trois cordes, accompagnant chaque mouvement de l'archet avec un mouvement de la tête, et frappant la cadence. Sur le sol avec son pied.
Ichabod était aussi fier de ses talents de danseur que de chanteur. Il était l'admiration de toute l’assemblée qui regardait avec plaisir la scène. La dame de son cœur était sa partenaire de danse et souriait gracieusement en réponse à tous ses regards amoureux; tandis que Brom, douloureusement frappé par la jalousie, restait assis rêveur tout seul dans un coin.

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A la fin du bal, Ichabod a été entrainé dans un groupe de personnes âgées qui, assis et fumant leurs cigares discutaient du temps passé et de la grande guerre.
Il y avait l'histoire de Doffue Martling, un grand barbu, qui avait presque pris une frégate britannique à lui tout seul. Et il y avait un autre vieux monsieur qui était célèbre pour être capable de dévier les balles des fusils avec la lame de son épée, épée qu’il portait toujours sur lui et sur laquelle on pouvait voir les éraflures laissées par les dites balles. 
Mis tout ceci n'était rien à côté des histoires de fantômes. Le voisinage est riche en trésors légendaires de la sorte. Des contes locaux et des superstitions prospèrent dans cette vallée endormie. 
Plusieurs personnes présentes à la fête, accordaient au compte-gouttes leurs légendes sauvages et merveilleuses. Beaucoup de contes mornes parlaient de trains d'obsèques et de cris déchirants et des gémissements entendus dans l’arbre où le malheureux Commandant Andrei a été pendu par l’ennemi et qui se dressait dans le voisinage. Il a aussi été question de la dame blanche, ayant péri là dans la neige, qui a hanté la vallée endormie près du moulin de la Roche et que l’on entendait souvent crier les nuits d'hiver avant une tempête.
La majeure partie des histoires, cependant, tournait  autour du spectre préféré de la vallée endormie, à savoir le Cavalier Sans tête, que l'on avait entendu plusieurs fois dernièrement, patrouillant dans le pays; et, qui a été vu attachant son cheval plusieurs nuits parmi les tombes du cimetière.
La situation isolée de cette église semble en avoir toujours fait un lieu de prédilection pour les êtres de l’au delà. Elle est construite sur un tertre, entouré par des arbres élevés, et entourée de hauts murs blanchis qui brillent à la lune. Une pente douce en descend vers une nappe d'eau argentée, bordée, elle aussi, par de hauts arbres, entre lesquels, les regards furtifs peuvent apercevoir les collines bleues du fond de la vallée. A voir son cimetière de gazon ras, où les rayons de soleil semblent dormir tranquillement, on penserait que là au moins les morts pourraient reposer en paix. Sur un autre côté de l'église s’étend un large vallon boisé, le long lequel dévale un grand ruisseau parmi des roches brisées et des troncs d'arbres tombés. A un endroit sombre de torrent, pas loin de l'église il y avait autrefois  un pont en bois; La route qui y mène et ce qui reste du pont lui-même, traversent une zone boisée, des arbres qui projettent des ténèbres, même durant la journée. 
Tel était le lieu de prédilection du Cavalier Sans tête et l'endroit où il était plus fréquemment rencontré. Même le vieux Brouwer, incrédule concernant les fantômes, y a rencontré le Cavalier revenant de son incursion dans la vallée endormie et a été obligé à fuir devant lui; et il racontait comment ils ont galopé à travers les buissons, sur la colline et dans les marais, jusqu'à ce qu'ils aient atteint le pont; où le Cavalier s'est soudainement métamorphosé en squelette, et a jeté le vieux Brouwer dans le ruisseau et a sauté loin sur les cimes des arbres dans un grand coup de tonnerre.


Cette histoire semblait correspondre à une autre aventure arrivée à Brom: Il a affirmé qu'en retour à minuit du village voisin, ce cavalier sans tête l'avait rattrapé; qu'il avait offert de courir avec lui pour un bol de punch et qu’il avait gagné la course, en arrivant le premier au pont de l'église, et que là le fantôme s'est sauvé et a disparu en un éclair de feu.

La veillée d’Halloween s'est progressivement séparée. Les vieux fermiers ont réuni leurs familles dans leurs chariots et on a entendu pendant quelque temps le bruit des roues le long des routes creuses et sur les collines éloignées. Certaines des demoiselles sont montées sur des sièges arrière derrière leurs soupirants préférés et leur rire insouciant se mélangeaient avec le cliquetis de sabots, jusqu'à ce qu'ils soient progressivement inaudibles.

 Ichabod s'est  attardé derrière, espérant  avoir un tête-à-tête avec l'héritière; entièrement convaincu qu'il était maintenant près du but. Ce qui s’est passé à cet entretien on ne le sait pas. 

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 Mais Ichabod était  triste et abattu, quand il est revenu le long des collines qu'il avait traversées si joyeusement l'après-midi. L'heure était aussi morne que lui-même. Dans le silence mort de minuit, il pouvait même entendre l'aboiement d’un chien de garde; mais si vague et si faible. De temps en temps, aussi, le cri d'un coq, accidentellement réveillé, trouait le silence au loin dans une certaine ferme.
Toutes les histoires de fantômes et de lutins qu'il avait entendues l'après-midi se bousculaient dans son esprit. La nuit est devenue de plus en plus sombre; les étoiles ont semblé s’éloigner plus profondément dans le ciel et les nuages les cachaient de temps en temps à sa vue. Il ne s'était jamais senti si solitaire et morne. Il, s'approchait de plus en plus de l'endroit même où beaucoup de scènes d’histoires de fantôme s’étaient déroulées. A un certain moment, il s’est trouvé face  un énorme tulipier, qui se dressait de manière imposante comme un géant par-dessus tous les autres arbres du voisinage. Ses branches étaient noueuses et fantastiques, assez grandes pour former des troncs pour des arbres ordinaires,se tordant  presque à terre et montant de nouveau dans l'air. Il s’est rappelé avec l'histoire tragique du malheureux Andreï.
Comme Ichabod s'est approché de cet arbre, il a commencé à siffler; il a pensé que l'on a répondu à son sifflement; ce n'était que le bruissement provoqué par les branches sèches. Comme il s'est approché un peu plus, Ichabod a pensé voir quelque chose de blanc, s'accrochant au milieu de l'arbre: il a fait une pause et a cessé de siffler, mais, en regardant de plus près, il s’est aperçu que c'était un endroit où l'arbre avait été frappé par la foudre et que le bois blanc avait été mis à nu. Soudainement Ichabod a entendu un gémissement, ses dents ont claqué et ses genoux ont tremblé contre la selle: ce n'était que le frottement d'une branche énorme sur un autre, balancées par la brise. Ichabod a passé l'arbre en sécurité, mais de nouveaux périls se trouvaient devant lui.
A environ deux cents mètres de l'arbre, un petit ruisseau a croisé sa route et il est entré dans une vallée encaissée marécageuse et boisée, connue par le nom du Marais de Wiley. Quelques rondins grossiers, posés côte à côte, servaient de pont pour traverser le courant.
Comme Ichabod s'est approché du ruisseau, son cœur a commencé à cogner il a rassemblé toute sa volonté, il a donné une série  de coups de talons dans les côtes de son cheval et a essayé de se précipiter vivement à travers le pont; mais au lieu de partir en avant, le vieil animal pervers a fait un mouvement latéral. Ichabod  a tiré brusquement les rênes de l'autre côté et a donné un coup de talon avec le pied opposé: en vain; son coursier a reculé, c'est vrai, mais seulement pour plonger du côté opposé de la route dans un fourré de mûres sauvages et de buissons d'aulne. Ichabod a  donné du fouet et du talon dans les côtes efflanquées de la vieille Poudre, qui s'est précipitée en avant, reniflant et reniflant, mais s’est immobilisée juste avant le pont, avec une soudaineté telle qu’elle avait presque envoyé son cavalier voler par-dessus sa tête. Juste à ce moment Ichabod a entendu le bruit d’une galopade effrénée. Puis dans l'ombre sombre du bosquet, sur la rive du ruisseau, il a contemplé quelque chose d'énorme, déformé et imposant qui ne bougeait plus, mais  semblait blotti dans les ténèbres, comme un monstre gigantesque prêt à jaillir sur le voyageur.

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Les cheveux d’Ichabod se sont dressés de terreur sur sa tête. Qu'est-ce qu’il pouvait faire? Se retourner et fuir était maintenant impossible; et en plus, quelle chance avait-il de pouvoir échapper au fantôme ou à un lutin, capable de voler aussi vite que le vent? 
Rassemblant, donc, tout son courage, Ichabod a balbutié : 
"Qui êtes-vous?" 
Ichabod n'a reçu aucune réponse. Il a répété sa demande d'une voix toujours plus tremblante. Toujours aucune réponse. Encore une fois Ichabod frappa les côtés de Poudre qui refusait de bouger. À ce moment même l'être caché s'est mis en mouvement et s’est planté au milieu de la route. Quoique la nuit soit sombre et morne, la forme inconnue pouvait être vérifiée. Il a semblé à Ichabod que c’était un cavalier de grande taille et monté sur un cheval noir puissant. Il n'a présenté aucune marque de brutalité ou de sociabilité, mais a gardé ses distances sur le côté de la route, trottinant du côté de l’œil aveugle de Poudre, qui avait maintenant surmonté sa peur.
Ichabod, qui n'avait aucun goût pour cet étrange compagnon de minuit et se rappelait l'aventure  de Brom avec le cavalier sans tête, a mis son coursier au pas rapide dans l’espoir de s’éloigner. L'étranger, cependant, a accéléré le pas de son cheval à une allure égale. Ichabod a sentit son cœur battre la chamade; il s'est efforcé de reprendre son calme en chantant un psaume, mais sa  langue desséchée collait au palais et il ne pouvait pas prononcer une note.
 Ichabod entendait dans le silence les grognements de ce compagnon obstiné qui l’épouvantaient. Ichabod était glacé quand il s’aperçut que le cavalier était sans tête! Mais son horreur était encore plus grande quand il vit que la tête, qui aurait du être posée sur les épaules, était posée sur le pommeau de la selle! 
Sa terreur est montée au désespoir; il a fait voler une pluie de coups de pied et de coups de fouet sur la Poudre, espérant par un mouvement soudain pouvoir fausser compagnie à son compagnon; mais le spectre a commencé la course avec lui. 
Alors, ils se sont précipités par monts et par vaux; Les vêtements légers d'Ichabod ont flotté dans l'air, alors qu’il avait allongé son long corps grêle  sur la crinière et la tête de son cheval, dans l'ardeur de sa chevauchée.
Ils avaient maintenant rejoint la route qui s’éloigne de la vallée endormie; mais  Poudre,  possédée par un démon, au lieu de la suivre, a fait une volte face et a plongé la tête la première en bas de la colline. Cette route mène au pont célèbre devant le tertre vert sur lequel repose l'église blanchie.

La panique du coursier avait donné un avantage apparent à son cavalier, mais en arrivant au pont, les sangles de la selle ont cédé et Ichabod l'a senti glisser sous lui. Il l'a saisie par le pommeau et s'est efforcé de tenir en selle, mais en vain; et a juste eu  le temps de se sauver en étreignant la vieille Poudre par le cou, quand la selle est tombée à la terre et il l’a entendue se faire piétiner par les sabots de son poursuivant. Pendant un instant la terreur a submergé Ichabod à l’idée que cela aurait pu être lui qui avait été piétiné. Et le cavalier maladroit qu'il était avait beaucoup de mal pour tenir sur son cheval glissant parfois d’un côté, parfois de l’autre et parfois secoué sur la colonne vertébrale de son cheval, avec une violence telle qu'il craignait de finir écartelé.

Une ouverture dans les arbres lui a redonné l’espoir que le pont d'église était proche. Le reflet hésitant au sein du ruisseau lui a dit qu'il ne se trompait pas. Il a vu les murs de l'église. Il s'est souvenu de l'endroit où le concurrent fantomatique de  Brom avait disparu. 
"Si je pouvais atteindre ce pont," a pensé Ichabod, "je serais sauvé." 
À ce moment même Ichabod a entendu le coursier noir haletant et soufflant derrière lui; il s'est même imaginé sentir son souffle chaud sur sa nuque. Un autre coup de pied convulsif dans les côtes et la vieille Poudre a sauté sur le pont, a tonné sur les planches et a gagné le côté opposé; et maintenant Ichabod jette un regard derrière lui pour voir si son poursuivant a disparu, selon la légende, en un éclair de feu et de soufre. À ce moment même il a vu le fantôme se lever dans ses étriers et lui lancer sa tête. Ichabod s'est efforcé d'esquiver le missile horrible, mais trop tard. Il l’a reçu sur son crâne, a dégringolé la tête la première dans la poussière et a perdu toute notion de son aventure : de Poudre, du coursier noir et du cavalier sans tête.
Le lendemain matin le vieux cheval a été trouvé sans sa selle et avec la bride sous ses pieds, broutant tranquillement  l'herbe à la porte de son maître. Ichabod n’est pas apparu au petit-déjeuner; l'heure de dîner est venue, mais pas d’Ichabod. Les garçons se sont réunis à l'école et ont joué près du ruisseau; mais aucun maître n’est apparu. Une enquête a été mise sur pied et ils ont retrouvé les traces d’Ichabod. Sur la route menant à l'église on a trouvé la selle piétinée dans la saleté; les traces des sabots des chevaux profondément enfoncées dans la route jusqu’au pont, au-delà duquel, sur la rive du ruisseau, a été trouvé le chapeau de l’infortuné  Ichabod  à côté d’un potiron brisé.
Le ruisseau a été fouillé, mais le corps d’Ichabod n’a jamais été retrouvé.
 Le paquet qui a contenu tous ses effets: deux chemises, deux foulards, une paire ou deux de bas en laine et une vieille paire de velours côtelé, un rasoir rouillé; un livre d'airs de psaume et un diapason cassé ont été distribués aux plus pauvres. Quant aux livres et aux meubles de l'école, ils sont restés à la communauté, sauf le livre de l'Histoire de Sorcellerie de 
Taraod. Ce livre magique a été immédiatement expédié aux flammes.

Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com/ 

Cet événement mystérieux a causé beaucoup de discussions à l'église le dimanche suivant. Les commères se sont rassemblées dans le cimetière, près du pont,  où le chapeau et le potiron avaient été trouvés. Les histoires anciennes sont réapparues et ont été comparées avec les symptômes du cas présent. Les commères ont secoué la tête et sont arrivées à la conclusion qu’Ichabod avait été emporté par le cavalier sans tête. Comme il était un célibataire, et qu’il n’y avait personne à le pleurer l’affaire en est restée là; l'école a été déplacée et un autre instituteur est venu dans la vallée.

Bien plus tard, un vieux fermier, qui était parti vivre à la capitale, est revenu en racontant qu’Ichabod était toujours vivant; qu'il avait fui la vallée endormie en partie par la crainte du fantôme et en partie mortifié d’avoir été renvoyé par l'héritière; qu'il avait déménagé dans une partie éloignée du pays; continué à faire école et avait en même temps étudié le droit; qu’il était devenu avocat puis un politicien chevronné.
 Dans la vallée on a observé que Brom, peu de temps après que la disparition de son rival a conduit Katrina à l'autel, et que quand l'histoire d'Ichabod était racontée dans les veillées, il éclatait d’un grand rire à la mention du potiron; ce qui a amené certains à soupçonner qu'il savait plus à ce sujet qu'il ne voulait bien dire.
Les vieilles femmes de pays, cependant, qui sont les meilleurs juges de ces matières, maintiennent à ce jour qu'Ichabod a été emporté par des moyens surnaturels; et c'est une des histoires préférées autour du feu pendant les veillées d'hiver. Le pont est devenu plus que jamais un objet de crainte superstitieuse; et c’est peut être la raison pour laquelle la route a été modifiée afin de s'approcher de l'église par le chemin du moulin de la roche. 
L'école étant abandonnée est bientôt tombée en décrépitude et passe pour être hantée par le fantôme du  malheureux instituteur, flânant vers la maison de Katrina en chantant un psaume  mélancolique dans les solitudes tranquilles de la vallée endormie.

 

Date de dernière mise à jour : 02/11/2019