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Konter Ludu

Légende du Konter Ludu ( Compteur de cendres)
Texte offert par Louis de Saint Pabu en 2017

Le sieur Kersalaün, était le propriétaire du Manoir du Carpont en Lampaul-Ploudalmézeau, au XVII° siècle. C’était un homme dur qui ne faisait aucun cas de la vie des autres. Il était connu pour être méchant et impitoyable, il ne connaissait pas les sentiments de bonté ou de pitié. C’est la raison pour laquelle les pauvres de la région restaient autant qu’ils le pouvaient loin de ce manoir maudit sans jamais essayer de s’approcher.

Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com)

Un jour cependant, un homme, un mendiant (un chercheur de pain comme on dit par ici), qui n’était pas du pays, ce qui fait qu’il n’avait pas eu connaissance de la mauvaise renommée du maître, était entré dans la cuisine alors que la bonne venait de poser sur la table un chaudron de bouillie. Bouillie qu’elle avait mise à cuire dans un grand chaudron au milieu de la cheminée pour couper la faim d’une douzaine de laboureurs, à l’appétit ouvert par le dur travail des champs. Profitant du fait que cette dernière venait de sortir pour souffler le rappel à l’aide du “corn boud”(1), notre mendiant entra donc discrètement dans la cuisine.

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Il était mort de faim, le mendiant, si bien qu’il fut tenté à l’extrême. Et il détacha du vaisselier une cuiller en buis et se dirigea rapidement vers le chaudron (2)!  Avec d’autant plus de rapidité qu’il avait peur d’être ainsi pris à voler.
Bien qu’il eût fait attention à ne pas être remarqué, voici que tout à coup,une main lourde s’abattit sur son épaule. En poussant un cri d’épouvante, le mendiant se retourna pour voir qui était derrière son dos. C’était le Maître de maison lui-même l’air moqueur et en colère, tout à la fois!
- « Ah, ah mon gars, ainsi tu es en train de te régaler sur mon compte. Je trouve que tu es drôlement impoli de te permettre d’avaler la bouillie de mes ouvriers, sous prétexte que la bonne n’est pas aux alentours. »
- « Mais dis-moi donc, cette bouillie est-elle bonne au moins? Je vois que tu lui as fait pas mal d’honneur. »
- « Excellente Maître, bredouilla le pauvre homme qui ne savait pas où se mettre. »
- « Encore un peu, ça t’irais assez je parie? »
- « Ça va Maître, ça me suffit déjà. Veuillez pardonnez au nom de Dieu, j’avais une grande faim. Laissez moi partir! »
- « Opala, espèce de voyou. Reste là! Comme ma bouillie est bonne, je veux que tu en manges jusqu’à ce que tu sois écoeuré, jusqu’à ce que tu en crèves! Tu vas vider le chaudron, le gratin et tout. Et si tu laisses la plus petite cuillerée après toi, tu es un homme mort, c’est entendu? Cela t’apprendra ainsi à venir faire le voyou chez les gens de bien, et surtout par ici. Si tu n’avais jamais entendu parler du sieur Kersalaün avant aujourd’hui,  à partir de maintenant tu sauras ce que gagne celui qui croit pouvoir s’en prendre à moi. »
- « Pitié Maître », supplia le pauvre homme en allant se mettre à genoux.
- « Allez, sans façon, s’il te plaît. Approche vite et fais honneur à cette excellente bouillie puisque tu la trouves bonne. Et arrêtes de te plaindre, ça suffit tes plaintes me cassent les oreilles aussi, ou alors la colère montera en moi pour de bon. Est-ce que ça te plairait que je te donne à manger à mes chiens? »

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Mort d’épouvante, le gueux remis en appétit par cette situation sans grand espoir, se jeta sur le chaudron. Et il avala autant qu’il put. Mais il y a une limite pour chaque chose, comme toujours.
Alors que notre homme commençait à caler sur l’ouvrage un commerçant du pays était en train d’arriver au manoir. Alors le méchant maître, son attention attirée par le bruit qu’il y avait dans la cour, fit le tour de la table, sortit de la cuisine et s’arrêta pour observer ce qui se passait à l’intérieur de la cour.
_  « Imbécile, dit aussitôt la bonne avec pitié à son client malgré lui. Au lieu de charger la bouillie dans ta bouche, pourquoi ne la jettes-tu pas dans ta chemise? »

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Ce bon conseil n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd et l’homme lui obéit. Quand le Sieur Kersalaün revint dans la cuisine, le mendiant était bel et bien en train de gratter le chaudron, et finissait d’arracher le gratin.
Le maître fut surpris de la situation et il ne lui vint pas à l’idée qu’il avait été trompé. Il invita le mendiant de pain à retirer ses chausses de là vite fait, avant qu’il ne lâche les chiens sur lui. C’est ce que notre homme fit, bien content de s’en tirer à si bon compte si ce n’est que sa chemise était un peu collée à la peau de son ventre. Mais tout bien réfléchi cela lui faisait quelques jours de réserve à bon marché. Sûr qu’il était guéri à jamais de l’envie de mettre le manoir du Carpont sur la liste des maisons où s’arrêter quand il serait de retour dans le pays.

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Quand ce vilain méchant homme mourut, son âme fut condamné par le seigneur Dieu à faire pénitence pour les méfaits qu’il a fait subir durant sa vie; elle fut contrainte dès lors à errer la nuit dans une voiture rouge avec des roues cerclées de fer(3), tirée par deux chevaux fougueux tout autour de son manoir.
Mais les gens du pays étaient si terrorisés quand ils entendaient, dans la nuit, le bruit effroyable que faisait cet attelage, que le curé de Lampaul-Ploudalmézeau  dut l’exorciser. Il se rendit de nuit au manoir, attendit l’apparition du convoi funèbre, appela le fantôme par la porte de la voiture, l’arracha de là après avoir lui avoir passé son étole par dessus son cou. Ce fut un jeu d’enfant pour l’exorciseur expérimenté qu’il était. Mais, une fois l’âme attrapée, une nouvelle question se posa à notre brave curé ; qu’allait-il bien pouvoir en faire ?

Il faut dire qu’il n’était pas de coutume, chez nous, en Arvor, de conduire les âmes, comme dans le Ménez jusqu’au Yeun Elez (4), ou bien je ne sais où d’autre encore, afin de les abandonner.

C’est sur une grande roche en mer, appelée Peunven (5), au nord-ouest de l’île Treoc’h, que fut envoyée l’âme odieuse par le Recteur, tirée par son étole et qu’elle fut attachée sur la plus au nord des trois roches qui sont là, proche l’une de l’autre.

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Puis on envoya là-bas une barrique de cendres (6). Avec défense au fantôme de revenir à terre, tant qu’il n’aurait pas compté, sans erreur, sous la surveillance de Dieu, combien de creux de ses deux mains pleins de cendres il fallait pour remplir une barrique.

Le sieur commença sa pénitence. Mais une malédiction planait sur lui; chaque fois qu’il commence à mesurer la barrique, le vent se lève et le tas de cendres est mélangé, re-mélangé si bien qu’il doit tout recommencer.

Il y a des âmes de trépassés de plus grande valeur que celle-là à prendre en pitié, si cela vous tentait cependant, vous pourriez aller jeter un petit coup d’oeil à la roche où elle est encore, à l’abri du regard des chrétiens. Les gens de Lampaul l’appelle : “Ar C’honter ludu”, et les gens de Saint Pabu : Peunvez Braz.

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(1)  Le korn boud est en général un gros coquillage pourvu d’un trou dans la spire dans lequel on souffle puissamment pour provoquer un beuglement caractéristique, signal destiné à appeler es travailleur des champs aux repas ou le maître de maison en cas de besoin. Chaque ferme à son Korn boud, celui-ci facilement identifiable au son
.
(2) Tout le monde mange directement dans le chaudron à la cuiller.

(3) Moyen de transport léger utilisé pour le déplacement “rapides de personnes, du type voiturette, mais avec cerclage des roues en fer (par opposition à “kar kouchou”).
 
(4)  Arvor pays au bord de mer - Menez pays dans les terres (Menez Are, Mene Bre) - Yeun Elez: rendez-vous mythique des âmes.


(5) Les têtes des 3 roches sont toujours grises, l’âme est toujours là, pour l’éternité; la barrique a été emportée par les flots, pour sûr!

(6)  Les cendres du corps dit-on.


Texte traduit du breton par Manu.