La chapelle Coat ar Roch
LA CHAPELLE DE COAT-AR-ROCH
Dans la paroisse de Komanna, au pied des monts d’Arrée, au milieu des humbles taillis que dominent d’énormes et sombres rochers, là où il y avait autrefois une grande forêt de chênes, on voit encore la trace et les restes éparpillés d’un ancien bâtiment Situé entre le manoir et le village de la Garenne. Quelques pierres montrent l’emplacement de la porte principale. Un tertre, couvert d’orties marque l’endroit où était l’autel. L’herbe reverdit à peine sur la terre desséchée. Vous pressentez, enfin, qu’un malheur est arrivé là, ou qu’une grande profanation y a été commise. Tel est l’aspect des ruines de la chapelle de Coat-ar-Roch (Bois de la Roche). La chapelle dédiée à saint Roch, associée à une fontaine, existait encore au début du 19e siècle. Disparue depuis, son emplacement est actuellement marqué par les vestiges d´une croix.
Mais revenons à la tradition populaire. La chapelle faisait partie des dépendances du manoir de Coat-ar-Roch. Aujourd’hui, le manoir a disparu comme la chapelle, ou du moins, ce qui reste a été transformé en une maison.
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À la mort du pauvre gentilhomme qui habitait Coat-ar-Roch (vers 1789), son domaine fut vendu, conformément à ses dernières volontés. Il n’avait pas d’enfants, et avait dépensé la plus grande partie de sa modique fortune en aumônes.
Un riche marchand de fil de Landivisiau acheta le domaine. C’était un avare endurci, qui ne vivait que pour son commerce. Il se nommait Grall-Penvern ; mais les paysans, pour le récompenser de sa perfidie, l’avaient baptisé Fallorch (plus mauvais).
Grall-Penvern à cause de son avarice, ne s’était pas marié, et vivait seul avec Brigitte son unique sœur, bonne et pieuse créature, détachée des choses de la terre autant que son frère tenait à ses intérêts et à sa fortune.
Le marchand de fil avait toujours contrarié la vocation religieuse de Brigitte. Soumise et résignée comme une sainte, elle attendait avec patience et ne voulait pas quitter Grall-Penvern , dans l’espoir de le ramener à de meilleurs sentiments.
Sachant déjà combien la chapelle de Coat-ar-Roch (autrement dit, de Saint-Roch) était en vénération dans le pays, Brigitte se réjouissait à l’idée d’y donner tous ses soins et d’embellir le sanctuaire que la Providence semblait lui confier. On comprendra quelle fut sa douleur, lorsque Falloc’h, entre deux vins, et disant qu’il n’y avait plus ni Dieu ni saints, lui annonça son intention de démolir la chapelle, pour en vendre les matériaux et défricher l’emplacement. Sœur Brigitte (on l’appelait ainsi pour honorer sa piété), ne put protester que par ses larmes et par ses prières.
Une nuit, dans un songe, Brigitte crut voir saint Roch apparaître, la face blême et montrant du doigt l’ulcère qui couvrait son genou.
« Ne pleure pas, chère fille, murmurait saint Roch ; si Grall-Penvern porte la main sur ma chapelle, c’est que Dieu l’a permis… Pourtant, vu le froid qui s’annonce cet hiver fais en sorte qu’un petit coin soit préservé, pour nous abriter, moi et mon pauvre chien. »
Ce rêve rendit quelque confiance à la Brigitte. Cependant, quand arriva le jour où l’on devait commencer la démolition de la chapelle, elle sentit redoubler sa douleur ; poussée par une inspiration subite, elle sortit tôt le matin, cueillit quelques branches d’arbre vert dans le verger et prit le chemin du bois pour se rendre à la chapelle.
Brigitte entra dans la chapelle; elle disposa, comme d’habitude, les rameaux verts devant l’image de saint Roch, et se mit à prier, cachée dans un coin obscur. Tout à coup, deux hommes entrèrent: ils portaient une échelle, des marteaux, une hache et d’autres outils nécessaires à leurs travaux.
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L’échelle fut dressée contre le mur ; l’un des hommes y monta, mais l’autre ouvrier, dit à son compagnon :
— C’est besogne maudite que nous allons faire ici. Qu’en pensez-vous, maître Pierre ?
— Moi ? Rien du tout, dit l’autre. Le bourgeois a promis de bien nous payer ; c’est tout ce qui compte.
— N’empêche, repondit le jeune homme, cela ne me rassure guère.
— Bah ! Tu n’as rien à craindre, tu n’es qu’un poltron ! Et, d’ailleurs la Nation adécrété la suppression de tous les saints …
Le ciel commençait à s’assombrir : de gros nuages, chassés par le vent de la montagne, passaient au dessus de la chapelle et répandaient de l’ombre sous les voûtes. La bise gémissait de temps à autre, et faisait tinter faiblement la petite cloche dans la tourelle. Le jeune garçon soupira, en regardant tout autour de lui.
— Je ne suis pas tranquille tout de même, dit-il, et que deviendra le pauvre saint Roch, quand on l’aura jeté hors d’ici ?…
— Le ci-devant saint Roch fera comme tous les mendiants de la paroisse : il ira piller le bois de Falloc’h et se chauffera à son compte.
— N’empêche, maître Pierre, vous devriez y regarder à deux fois, avant de… Seigneur Jésus ! Regardez là, dans le fond : c’est un ange du paradis qui est à genoux devant la statue.
— Ce n’est qu’une femme, imbécile ! s’écria le charpentier ; sœur Brigitte elle-même… Rappelle toi, Falloc’h a dit de ne pas faire attention à elle.
À ces mots, l’ouvrier se mit à frapper de grands coups de hache sur une poutre de la charpente. Un cri de douleur s’échappa de la poitrine de Brigitte. Ce cri vibra sous les voûtes comme un écho funèbre ; et, au même instant le profanateur tomba sur le pavé, où il demeura immobile.
Brigitte se porta, seule, au secours du blessé, car le jeune paysan s’était enfui frappé d’épouvante. Elle alla puiser de l’eau à la fontaine voisine et réussit à ranimer le malheureux, qui s’était brisé l’épaule dans sa chute.
— Que Dieu vous assiste ! dit Brigitte en reconduisant le charpentier jusqu’au village. Vous souffrez beaucoup, mais songez que, sans la protection de saint Roch, dont vous vouliez abattre la demeure, vous auriez pu vous tuer en tombant de si haut sur les dalles.
— Peut-être, murmura le blessé en gémissant.
— Prenez confiance, reprit Brigitte : saint Roch, qui a porté remède à tant de maux et de blessures, vous guérira sans doute. Tenez, prenez ces quelques pièces. Je reviendrai vous voir demain.
— Quoi ! s’écria le charpentier, vous êtes la sœur de l’avare Falloc’h et vous êtes si bonne ! Vous avez tant de pitié des pauvres gens !… Mon ouvrier croyait voir un ange au pied de la statue ; je vois bien qu’il avait raison… Dites à Penvern qu’il en cherche d’autres pour sa maudite besogne ; car si j’en réchappe, je ne toucherais jamais plus à cette chapelle !
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Grall-Penvern se garda bien de reconnaître la main de Dieu dans l’événement qui venait de se passer. Il fit venir des vagabonds de Morlaix, et leur promit un salaire en rapport avec la tâche qu’il leur imposait.
La profanation fut bientôt consommée : la chapelle de Coat-ar-Roch n’existait plus. On avait enlevé les meilleurs matériaux pour les vendre à la ville. De tristes ruines gisaient à la place du sanctuaire vénéré, et les paysans faisaient le signe de la croix en passant, priaient et détournaient les yeux.
Mais, les ouvriers (sans doute touchés par les larmes de Brigitte) laissèrent subsister un pan de mur avec la niche de la statue de saint Roch.
Dès que Grall-Penvern s’aperçut qu’on avait désobéi à ses ordres, il jura de faire disparaître les derniers vestiges de la protection que saint Roch, accordait à la paroisse de Komanna.
Un soir donc, par un temps sombre, Falloc’h résolut de mettre ses ordres à exécution sans plus attendre. Mais, comme sa conscience ne lui laissait guère de repos, il crut prudent de chercher un complice et passa par le moulin, d’où, après maintes libations en l’honneur du fil et de la farine, il entraîna avec lui le vieux père Furik, le meunier de Kerdilès.
Le meunier, malgré le vin qu’il avait bu, n’était ni très brave ni très solide sur ses jambes, et à chaque détour du chemin, surtout à l’approche du taillis, il faisait une halte prudente.
— Heu ! fit-il enfin, seigneur Penvern, m’est avis que le temps est bien noir et l’heure un peu trop avancée. Et puis, voyez-vous, pour abattre un saint, un saint si vieux…
— Justement, maître Furik, interrompit le marchand, puisqu’il est vermoulu, nous en aurons plus vite raison. Et puis tu devrais savoir que nous avons supprimé tous les saints, sans exception.
— Je ne dis pas non, reprit le meunier, je ne dis pas non, mais, tout de même, si ça allait mettre de la pourriture dans ma farine ?…
— Tu ne vas pas me dire que tu as une conscience professionnelle, Furik ; nous savons à quoi nous en tenir là-dessus, vieux coquin.
— Heu ! Vous voulez rire, Penvern… Holà !!! Qui diable vient de me saisir par mon habit ! Malheur ! Si c’était le barbet de saint Roch ?… Oui, je sens ses dents pointues dans ma chair… Lâche-moi donc, maudite bête !
Ce disant, le meunier épouvanté lançait dans les ténèbres un grand coup de pied qui n’atteignait que son compère Falloc’h, occupé à se frayer un passage au milieu des broussailles, dont les épines avaient retenu l’habit du vieux poltron.
— Par tous les diables ! tu frappes comme un sourd, Furik, s’écria le marchand de fil : tu me maltraites au lieu de me remercier des efforts que je fais pour nous tirer d’un mauvais pas… car, vois-tu, nous ne sommes pas dans le bon chemin… Heureusement que voici la lune qui va nous éclairer la route.
— Je trouve que l’aventure tourne fort mal et j’aimerais bien mieux être dans mon moulin. S’il vous plaît, Penvern, retournons tout de suite.
— Certainement pas, l’ami ! Nous avons topé, topé sur un sac de farine. Il faut aller jusqu’au bout, sinon, l’an prochain, je te retire le bail, et adieu la farine !
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Le pauvre meunier se laissa conduire vers les ruines, et les voilà rendus auprès de la niche où se trouvait la statue de saint Roch. La lune se couvrit d’un voile noir tandis que le vent redoublait ses gémissements.
— Si tu fais tomber ce morceau de muraille et briser cette statue, murmure Penvern à l’oreille du meunier, je te diminuerai ton bail de trois écus.
— Trois écus, maître, c’est joli sans doute ; mais casser un saint en morceaux… je ne pourrai jamais.
— Allons, j’irai jusqu’à six écus… Hein ? C’est dit ?
— Six écus ! s’écria Furik en levant la main pour saisir un marteau, que le marchand avait apporté la veille par précaution. Six écus ! Quel profit ! Mais je suis certain que saint Roch me couvrira d’ulcères, si je touche à ses guenilles. Non ! C’est impossible.
Et le meunier, dont les dents claquaient de terreur, se laissa tomber sur un tas de pierres.
— En ce cas, je m’en charge, par tous les diables ! s’écria Falloc’h ; et tout de suite encore. Quant à toi, tu me le paieras, sale trouillard.
À ces mots, sans attendre que la lune revînt lui prêter son flambeau, Grall-Penvern le marteau à la main, s’élança vers la niche, où il frappa à coups redoublés. Au même instant, une voix lamentable se fit entendre à peu de distance :
— Une place ! disait cette voix, qui me donnera une place pour reposer ma tête ?
En effet, la niche de saint Roch était vide ; le bon saint s’était évadé, et le profanateur n’atteignait dans sa rage aveugle que des pierres qui tombaient autour de lui…
Aveuglé par la rage, il frappait, il frappait toujours avec une fureur croissante. Il n’entendait rien, il ne voyait rien. Tout à coup, le pan de mur ébranlé s’écroula à grand bruit et l’ensevelit sous les décombres.
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Le meunier s’était enfui pendant la destruction. Ce ne fut que le lendemain matin que la malheureuse Brigitte, inquiète de son frère, et voulant sans doute prier pour lui, se rendit aux ruines de la chapelle. Des journaliers, accourus à ses cris, ne retirèrent de dessous les pierres que le cadavre du profanateur.
Sœur Brigitte vendit aussitôt le domaine de Coat-ar-Roch, et, après en avoir distribué le prix aux pauvres du canton, elle entra en religion dans un couvent de Landerneau.
Depuis ce temps, l’asile de saint Roch n’a pas été relevé. Lui-même, errant dans le bois, avec son pauvre chien, attend qu’une main charitable lui rende son antique demeure. Parfois, la nuit, on entend encore sa voix désolée répéter ces mots : « Oh ! Qui me donnera une place pour reposer ma tête ? »
Et des hurlements plaintifs font un triste écho à ces paroles.
Depuis ce temps, la tête du vénérable saint, a été placée dans une petite niche, au dessus de la fontaine voisine, qui lui est dédiée.
Coammana.
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