La faux du diable

La faux du diable

Autrefois, à Hédé les agriculteurs coupaient le foin à l’aide des ciseaux de tailleur. Je peux vous garantir qu’il leur fallait un bon moment pour terminer un champ.
Il vous faut savoir que le diable avait décidé de se construire un refuge sur ce qui deviendrait bien plus tard le Mont Saint Michel. Il venait régulièrement à Hédé et dans les environs pour charger de gros blocs de pierre. Le diable possédait un instrument qui coupait le foin d’une prairie en un rien de temps, tandis que nos braves paysans s’épuisaient à manœuvrer leurs faucilles. Mais il ne s’en servait que la nuit et refusait de le prêter.
Son outil tenait du prodige! II abattait le foin en lignes, ce qui permettait, aussit6t qu’il était sec, d’en faire des meules.
 Un jour le diable promit à un mauvais sujet de ses amis de lui couper son foin la nuit suivante. Saint Michel en fut informé et alla piquer des dents de herse, qui sont en fer, dans le pré du particulier. Puis il se cacha dans le creux d’un vieux chêne et y attendit la nuit. Son corps tout entier disparaissait dans l’arbre et seule sa tête émergeait au milieu du feuillage.

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Vers minuit, Saint Michel  entendit siffler derrière une haie et vit le diable se diriger vers la prairie. Arrivé a l’échalier, Satan s’arrêta, sortit sa petite enclume à faux et son marteau puis il emmancha la faux au bout d’un grand bâton. Alors il se mit à frapper le tranchant de son outil afin de l’aiguiser, tout debout et, enfin, d’un geste régulier des bras, le fit manœuvrer au milieu du foin qui se couchait tout autour de lui.
Lorsque l’instrument rencontra la première dent de herse, il s‘ébrécha. Satan se mit a jurer comme un beau diable et continua son travail. A la seconde dent l’outil se brisa et le diable dit:
« Bon voila ma faux cassée; il va falloir la porter a la forge ». 
Et il s’en alla, toujours en jurant, vers le bourg de Dingé.

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Le lendemain saint Michel se rendit chez le maréchal et lui demanda si on lui avait apporté un outil a réparer.
— Oui, répondit le maréchal, et un outil comme je n’en ai jamais vu.
— Eh bien! fabriques m’en un semblable, et je t’expliquerai ce qu’on peut en faire.
— Bien volontiers, répondit le maréchal.
Saint Michel, porté par son bon cœur, ne fit point comme le diable, il prêta sa faux et apprit a tout le monde à s’en servir. Et voila comment l’usage de cet instrument est devenu familier aux paysans.

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En voyant des faux dans toutes les mains, Satan comprit que son secret avait été découvert, et il supposa tout de suite que saint Michel l’avait espionné. Furieux et exaspéré, il alla le provoquer en duel.
— J’accepte, répondit l’Archange, mais a une condition, c’est que ce sera dans un four.
— Ou tu voudras, répondit Satan.
Et tous les deux s’en allèrent vers le village le plus proche.
Chemin faisant, saint Michel trouva une petite mailloche en bois qui sert aux femmes a écraser le chanvre et le lin avant de le broyer. Il la mit sous son bras et continua sa route.
Quand il furent arrivés prés du four, le diable prit par un bout du manche la perche à enfourner le pain, et se glissa dans le four. Saint Michel l’y suivit, et, pendant que son adversaire tirait sur sa perche, beaucoup trop longue pour pouvoir entrer dans le four, il lui maillochait la tête a tour de bras.
— Grâce! grâce! s’écria Satan, ou tu vas me tuer.
— Je veux bien te faire grâce, à  condition que tu  quittes le pays et que tu n’y reviennes plus.
Le marché fut conclu et, depuis cette époque, on n’a jamais revu le diable dans le canton de Hédé.

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