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La fleur du rocher

Armanel, conteur celte, entrelac celtique ROR

LA FLEUR DU ROCHER

Il y avait autrefois un soldat qui s’appelait Jean Cate ; il était en garnison au fort de la Corbière, et, quand il n’était pas de service, il descendait le long de la falaise pour aller pêcher sur les rochers qui sont au pied du fort.
Un jour qu’il pêchait à la perche et qu’il ne prenait pas grand’chose, il eut envie de visiter la Houle grotte) de la Corbière, dont il avait si souvent entendu parler.
— On prétend  que des fées l’habitent et j’aimerais voir leur demeure.
Il alla du côté de la Houle ; et, comme il descendait les rochers qui forment les côtés de la tranchée au fond de laquelle est la grotte, son pied glissa, et il tomba d’une grande hauteur sur de gros cailloux. Dans sa chute, il s’était meurtri tout un côté, et il resta dans le fond de la tranchée, ne pouvant plus remuer et sans connaissance. Quand il rouvrit les yeux, il vit auprès de lui une jeune femme qui lui dit :
— Eh bien ! mon pauvre Jean Cate, ta curiosité t’a coûté cher.
— Ah ! ma bonne Vierge, répondit le soldat, est-ce vous qui êtes venue à mon aide ?
— Je ne suis pas la bonne Vierge, dit la jeune femme, mais une personne qui veut te porter secours.
— Je suis un homme mort, répondit Jean Cate : je suis meurtri des pieds à la tête.
— Si tu veux me promettre de ne parler à âme qui vive de ce que je vais te faire, je te guérirai.
— Oui, je le jure sur ma vie.
La jeune femme prit dans sa poche une bouteille, et avec l’onguent qu’elle contenait, elle se mit à frotter Jean Cate sur tous les endroits où il avait eu mal. Quand elle eut fini, il se trouva guéri, et aussi dispos qu’avant sa chute :
— Maintenant, lui dit-elle, que la curiosité ne te ramène plus où tu n’as rien à faire.
Jean Cate pensait bien que la dame était une des fées de la Houle ; il lui dit :
— Comment pourrai-je vous montrer ma reconnaissance ? vous m’avez sauvé la vie.
— Je ne te demande rien, mon ami, rien que le silence sur ce que tu as vu.
— Pourrai-je au moins vous revoir quelquefois ? Dites-moi quel est votre nom.
— Tu le sauras peut-être plus tard et on se reverras ; mais si tu te vantes de ce que tu as vu, tu mourras.
Jean Cate retourna au fort ; il ne parla pas à ses camarades de son aventure ; mais il pensait tout le temps à la jolie dame qui l’avait guéri, et tous les jours, en faisant son service sur les parapets du fort, il regardait du côté de la mer pour essayer de l’apercevoir. Il ne la revit pas, mais par contre, il voyait souvent des femmes, vieilles comme les chemins et blanches comme la neige, qui étendaient du linge sur les gazons de la falaise.

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Une semaine après, un jour qu’il n’était pas de service, il aperçut la dame, et il se hâta de sortir du fort, emportant une perche comme s’il voulait aller pêcher. Il arriva auprès de la Houle, où il vit une table dressée, couverte d’une jolie nappe blanche, sur laquelle il y avait des gâteaux, des fruits, du vin et deux verres. Jean Cate s’avança, bien content ; la dame s’assit sur une chaise, et invita le soldat à s’asseoir à côté d’elle sur une seconde chaise.
— Eh bien, Jean Cate, es-tu bien guéri ?
— Ah ! oui, Madame, répondit-il.
— Je ne veux pas que tu m’appelles Madame.
— Aimez-vous mieux que je vous appelle Mademoiselle ?
— Oui, mais mon vrai nom est la Fleur du Rocher.
— Celui qui vous l’a donné n’a pas eu une mauvaise idée, répondit le soldat.
Tout en mangeant, il lui faisait les yeux doux, et comme la jeune fille semblait y prendre plaisir, il lui dit que, si elle le voulait, il aimerait bien l’épouser ; mais il avait bien envie de savoir si elle était une femme comme une autre, ou bien une fée.
— On parle beaucoup, dit-il, des fées qui demeurent dans la Houle ; ne seriez-vous pas une d’elles ?
— Des fées ! répondit-elle, est-ce qu’on croit aux fées dans ton pays ? Apprends que je suis fille d’un seigneur, et même d’un grand seigneur ; si tu veux venir avec moi au château de mes parents, tu y seras bien reçu.
Jean Cate était rassuré, et il se disait :
— Si je ne rentre pas au fort, je passerai pour déserteur ; mais je veux voir ce château tout de même : si je ne me plais pas avec elle, je m’en reviendrai. Ma foi, je me risque.
_ Mais, dit-il tout haut en regardant la Houle, comment ferai-je pour vous suivre ? il fait noir dans la grotte comme dans un cachot.
— Est-ce que je ne t’ai pas passé sur les yeux du baume qui t’a éclairci la vue et qui t’a permis de me voir? répondit la Fleur du Rocher.

Quand ils eurent fini de manger, une vieille femme toute couverte de goëmon vint desservir la table. Jean Cate et la demoiselle entrèrent dans la Houle, et, dès qu’il y fut, il voyait clair comme en plein jour ; plus ils avançaient, plus la grotte devenait large ; il voyait des champs et des chemins bordés de maisons, et, avant d’arriver au château, il passa devant plus de dix villages.
Jean Cate disait à la jeune fille :
— Où me menez-vous, la Fleur du Rocher ?
— À mon château, mon bon ami.
Ils arrivèrent à une grande avenue, où il y avait des arbres de toute espèce, et le soldat se disait :
— C’est tout de même un beau château !
Au bout de l’avenue, il vit un étang et des douves qui faisaient le tour des murailles, et à la porte se tenaient deux gardiens qui semblaient avoir plus de mille ans.
Ils entrèrent dans le château, et le père et la mère de la demoiselle le reçurent comme leur fils ; mais ils étaient si repoussants qu’il avait peur d’eux ; ils paraissaient âgés et avaient la peau comme de vieux crapauds ; mais c’était une ruse pour faire peur à Jean Cate.
— Sont-ce là, dit-il, votre père et votre mère ?
— Oui, répondit en riant la demoiselle ; est-ce que tu ne les trouves pas jolis ?
Ils entrèrent dans un autre appartement, et, dès qu’ils y furent, le seigneur et sa femme eurent la peau aussi fine que celle de leur fille, si bien que le soldat ne les reconnaissait pas.
Ils étaient riches comme des Crésus ; mais ils consentirent tout de même au mariage, et ils firent une belle noce où ils invitèrent leurs parents et leurs amis.

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Jean Cate était bien content d’être marié à la Fleur du Rocher ; mais il n’était pas tranquille, parce qu’il pensait qu’il avait été déclaré déserteur au fort, et il se disait :
— On sait bien que la Houle n’est pas loin du fort ; si on y pénètre et qu’on m’y trouve, je serai fait prisonnier.
Mais il n’en parlait à personne, même pas à sa femme.
Peu de temps après, le père et la mère de la Fleur du Rocher tombèrent malades, et ils virent que leur fin était proche. Le vieux seigneur appela Jean Cate et lui dit :
— Avant de mourir, je veux te donner quelque chose qui te sera d’un grand secours ; j’ai été guerrier autrefois, et je te fais don de mon épée. Tout ce que tu demanderas en mon nom, et tenant l’épée à la main, s’accomplira.

Il dit ensuite à sa fille :
— Voici les clefs de tous mes trésors qui vous appartiendront.
Il mourut quelques instants après, et la vieille dame dit à sa fille :
— Je vous fais présent de tous mes secrets, car je vais suivre ton père ; voici ma baguette et une petite bouteille, n’oublies jamais de la porter sur toi, car elle guérit de toutes les blessures, et je sais que vous allez suivre l’armée. Emportes aussi la baguette, et, quand vous quitterez le château, laissez-le à la garde des vieux serviteurs.
Quand le père et la mère de Fleur du Rocher furent enterrés, Jean Cate lui dit :
— Si tu voulais bien, nous pourrions partir d’ici et visiter le monde: tout le monde sait qu’il y a une Houle ici ; si les soldats m’y trouvent, je passerais en conseil de guerre comme déserteur, et je serais fusillé.
Sa femme lui répondit :
— Ils ne viendront pas ; et j’ai ici bien plus que tu n’en peux désirer ; pourquoi veux-tu courir les aventures ?
Mais Jean Cate avait envie d’éprouver son épée, et sa femme finit par consentir à quitter la Houle ; ils laissèrent le château sous la garde des deux vieux serviteurs, et ils dirent que s’ils ne revenaient pas, le château serait pour eux.
Jean Cate et Fleur du Rocher partirent vers l’ouverture de la Houle ; et Jean Cate rejoignit son poste au fort de la Corbière. Il croyait être resté cinq ou six jours absent : mais il était parti depuis dix-huit mois, et quand il revint, on le mit en prison. Fleur du Rocher, qui était enceinte, alla vivre dans une maison en dehors du fort, (et son mari lui avait défendu de se servir de sa baguette, parce qu’il voulait auparavant montrer le pouvoir de son épée.)
Quand son commandant l’avait vu revenir, il s’était bien aperçu qu’il n’avait plus le même sabre qu’en partant :
— Comment, lui dit-il, tu n’as plus ton sabre ?
— Non, il m’a été volé, mais celui que j’ai peut bien le remplacer.
Au moment où il allait passer en conseil de guerre, l’ennemi se présenta devant le château, et le commandant dit qu’il fallait mettre en avant les autres les soldats qui étaient en prison afin de faire un rempart humain.

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Jean Cate était bien content, parce qu’il n’attendait que le moment de se servir de son épée. Il demanda au commandant la permission de marcher en tête des autres prisonniers; la permission lui fut accordée ; mais, comme on voulait lui donner un sabre au lieu de son épée qui était petite, il répondit :
— Non, non, laissez-la moi, je veux l’essayer.
Il marcha devant les autres, et, quand il vit l’ennemi il dit :
— Mon épée, tranche la tête à mille ennemis d’un seul coup.
Aussitôt mille soldats tombèrent à terre. Le commandant disait :
— Voilà un fameux coup d’épée !
Les ennemis, un peu étonnés d’abord, continuèrent à s’avancer, mais Jean Cate commanda à son épée d’abattre deux mille soldats, et il continua à jouer du sabre jusqu’à ce que l’armée ennemie soit détruite.
Trois jours après, les assaillants revinrent encore, et Jean Cate, qui n’était plus en prison, demanda à marcher à la tête de la colonne. Il dit à son épée :
— Mon épée, qu’il ne reste plus un ennemi debout.
L’armée ennemie fut encore défaite ; Jean Cate ne fut plus traité comme déserteur, et il monta en grade. Comme son régiment devait partir, il dit à son commandant :
— Je voudrais aller voir ma femme.
— Oui, mais tu vas revenir.
— Bien sûr, mais je veux que ma femme puisse me suivre.
— Oui, je veux bien qu’elle soit cantinière.
— Non, elle viendra à mes côtés et sera mon égale.
— Soit, répondit le commandant, je n’ai rien à te refuser.
Jean Cate alla voir sa femme qui avait eu un beau petit garçon. La Fleur du Rocher suivit le régiment à la guerre ; elle avait toujours avec elle sa petite bouteille, et dès qu’un soldat était blessé, elle le frottait avec un peu de baume, et il guérissait aussitôt. Partout où ils allaient, le régiment remportait la victoire, et Jean Cate monta de grade en grade, si bien qu’il devint le premier homme de France après le roi.

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Il s’était passé des années depuis qu’ils avaient quitté la Houle de la Corbière ; le garçon de Jean Cate avait seize ans, et une fille qui était née depuis, avait douze ans. La Fleur du Rocher dit à son mari :
— Je suis fatiguée, et je ne me sens pas bien, je ne veux plus suivre l’armée.
Ils se retirèrent à Brest, et Jean Cate, qui n’avait jamais dévoilé le secret de son épée à personne, la donna à son fils, en lui recommandant de ne jamais le révéler à personne, lui non plus.
La Fleur du Rocher tomba malade, et, comme elle sentait sa fin venir, elle dit à sa fille :
— Je te donne le secret que ma mère m’a confié en mourant : voici ma baguette et ma petite bouteille, voici les trois clés qui ouvrent les portes des trésors qui vous appartiennent, et qui sont dans mon château : il est caché sous terre et on y entre par la Houle de la Corbière ; conserve bien les clés, ou ta fortune serait perdue. Si tu suis ton frère à l’armée, tu pourras avec cette bouteille guérir toutes les blessures.
La Fleur du Rocher mourut, et sa fille conserva ses clés pendues au cou par un cordon ; elle resta trois ou quatre ans encore avec son père ; 
Mais Jean Cate tomba malade à son tour ; il fit appeler son fils et lui dit :
— Je vais mourir ; ta sœur te suivra à l’armée si tu le veux. Mais vous possédez des trésors que vous n’avez jamais vu, et ta sœur a les clés qui ouvre toutes les portes afin de les trouver. Je vais vous donner une lettre signée de mon sang qui vous permettra de vous faire connaître par les gardiens du château et d’aller les chercher.

Jean Cate mourut peu après, et je ne sais pas si ses enfants sont allés à la Corbière chercher leurs trésors ou s’ils y sont encore.

Saint-Cast,

Armanel, conteur celte, entrelac celtique ROR1

Date de dernière mise à jour : 06/05/2023