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La fleur du rocher

Ils étaient riches comme des Crésus ; mais ils consentirent tout de même au mariage, et ils firent une belle noce où ils invitèrent leurs parents et leurs amis.


Jean Cate était bien content d’être marié à la Fleur du Rocher ; mais il n’était pas tranquille, parce qu’il pensait qu’on l’avait porté comme déserteur, et il se disait :
— On sait bien que la Houle n’est pas loin du fort ; si on y pénètre et qu’on m’y trouve, je serai pris.
Mais il n’en parlait à personne, pas même à sa femme.
Peu de temps après, le père et la mère de la Fleur du Rocher tombèrent malades, et ils virent que leur fin était proche. Le vieux seigneur appela Jean Cate et lui dit :
— Avant de mourir, je veux vous donner quelque chose qui vous sera d’un grand secours ; j’ai été guerrier autrefois, et je vous fais don de mon épée. Tout ce que vous demanderez en mon nom, et tenant l’épée à la main, s’accomplira.

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Il dit ensuite à sa fille :
— Voici les clefs de tous mes trésors qui vous appartiendront.
Il mourut quelques instants après, et la vieille dame dit à sa fille :
— Je vous fais présent de tous mes secrets, car je vais suivre votre père ; voici ma baguette et une petite bouteille, n’oubliez jamais de la porter avec vous, car elle guérit de toutes les blessures, et je sais que vous allez suivre l’armée. Emportez aussi la baguette, et, quand vous quitterez le château, laissez-le à la garde des vieux serviteurs.
Quand le père et la mère de Fleur du Rocher eurent été enterrés, Jean Cate lui dit :
— Si tu voulais, nous irions au grand air : on sait bien qu’il y a une Houle ici ; si les soldats m’y trouvaient, je passerais en conseil de guerre comme déserteur, et je serais fusillé.
Sa femme lui répondait :
— Ils ne viendront pas ; j’ai du bien ici plus que tu n’en peux désirer ; pourquoi veux-tu courir les aventures ?
Mais Jean Cate avait envie d’éprouver son épée, et sa femme finit par consentir à quitter la Houle ; ils laissèrent le château sous la garde des deux serviteurs si vieux, et ils dirent que si l’un venait à mourir, il faudrait le remplacer, et que, s’ils ne revenaient pas, le château serait pour eux.

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Voilà Jean Cate qui part avec sa femme pour revenir à l’entrée de la Houle ; et il rejoignit son poste au fort de la Corbière. Il croyait être resté cinq ou six jours absent : mais il était parti depuis dix-huit mois, et quand il revint, on le mit en prison. Sa femme, qui était enceinte, alla demeurer dans une maison en dehors du fort, et son mari lui avait défendu de se servir de sa baguette, parce qu’il voulait auparavant montrer le pouvoir de son épée.
Quand son commandant l’avait vu revenir, il s’était bien aperçu qu’il n’avait plus le même sabre qu’en partant :
— Comment, lui dit-il, tu n’as plus ton sabre ?
— Non, il m’a été volé, mais celui que j’ai peut bien le remplacer.
Au moment où il allait passer en conseil de guerre, l’ennemi se présenta, et le commandant dit qu’il fallait mettre devant les autres les soldats qui étaient en prison.

Jean Cate était bien content, parce qu’il n’attendait que le moment de se servir de son épée. Il demanda au commandant la permission de marcher en tête de tous les autres ; elle lui fut accordée ; mais, comme on voulait lui donner un sabre au lieu de son épée qui était petite, il répondit :
— Non, non, laissez-la moi, je veux l’essayer.
Il marcha devant les autres, et, quand il vit l’ennemi il dit :
— Mon épée, tranche la tête à mille ennemis du même coup.
Aussitôt mille soldats tombèrent à terre. Le commandant disait :
— Voilà un fameux coup d’épée !
Les ennemis, un peu étonnés d’abord, continuèrent à s’avancer, mais Jean Cate commanda à son épée d’abattre deux mille soldats, et il continua à jouer du sabre jusqu’à ce que l’armée ennemie eût été détruite.
Trois jours après, les assaillants revinrent encore, et Jean Cate, qui n’était plus en prison, demanda à marcher à la tête de la colonne. Il dit à son épée :
— Mon épée, qu’il ne reste plus un ennemi debout.
L’armée ennemie fut encore défaite ; Jean Cate ne fut plus traité comme déserteur, et il monta en grade. Comme son régiment devait partir, il dit à son commandant :
— Je voudrais aller voir ma femme.

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— Oui, mais tu vas revenir.
— J’y consens, mais ma femme me suivra.
— Oui, je veux bien qu’elle soit cantinière.
— Non, elle viendra avec moi sans aucune condition.
— Soit, répondit le commandant, je n’ai rien à te refuser.
Jean Cate alla voir sa femme qui avait eu un beau petit garçon. La Fleur du Rocher suivit le régiment à la guerre ; elle avait toujours avec elle sa petite bouteille, et dès qu’un soldat était blessé, elle le frottait avec un peu de baume, et il guérissait aussitôt. Partout où ils étaient, le régiment remportait la victoire, et Jean Cate monta de grade en grade, si bien qu’il était le premier en France après le roi.


Il s’était passé du temps depuis qu’ils avaient quitté la Houle de la Corbière ; le garçon de Jean Cate avait seize ans, et une fille qui était venue depuis, douze ans. La Fleur du Rocher dit à son mari :
— Je suis fatiguée, et je ne me sens pas bien, je ne veux plus suivre l’armée.
Ils se retirèrent à Brest, et Jean Cate, qui n’avait jamais dit le secret de son épée, la donna à son fils, en lui recommandant de ne jamais le révéler à personne.
La Fleur du Rocher tomba malade, et, comme elle sentait sa fin venir, elle dit à sa fille :
— Je te donne le secret que ma mère m’a confié en mourant : voici ma baguette et ma petite bouteille, voici les trois clés qui ouvrent les portes des trésors qui vous appartiennent, et qui sont dans mon château : il est caché sous terre et on y entre par la Houle de la Corbière ; conserve bien les clés, ou votre fortune serait perdue. Si tu suis ton frère à l’armée, tu pourras avec cette bouteille guérir toutes les blessures.
La Fleur du Rocher mourut, et sa fille conserva ses clés pendues au cou par un cordon ; elle resta trois ou quatre ans encore avec son père ; mais alors il tomba malade ; il fit appeler son fils et lui dit :
— Je vais mourir ; ta sœur te suivra à l’armée et partout. Vous avez des trésors que vous ne connaissez pas, et ta sœur a les clés qui les ouvrent. Je vais vous donner une lettre signée de mon sang qui vous permettra de trouver votre route et d’aller les chercher.
Jean Cate mourut peu après, et je ne sais si ses enfants sont allés à la Corbière chercher leurs trésors ou s’ils y sont encore.

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