La jument endiablée

La Jument endiablée

Coat Méal


Jean-Marie était cultivateur à Coat-Méal, au début du siècle dernier. Si tous ses voisins s’étaient convertis au modernisme agricole et conduisaient des chevaux vapeurs, Jean-Marie, lui n’a jamais voulu abandonner ses juments ; jusqu’à la fin, il est resté fidèle à la traction animale. Attention, cela ne veut pas dire que Jean-Marie était réfractaire au progrès ; il y avait l’électricité et l’eau courante dans sa ferme. De plus Jean-Marie était un des premiers habitants de la commune (après le député) à avoir fait l’acquisition dune voiture automobile (une Berliet Type VIRP2) avec laquelle il conduisait fièrement Soize, son épouse, à l’église le dimanche.

Jean-Marie, donc, continuait à travailler « à l’ancienne » sur sa petite ferme située à flanc de colline au dessus d’un petit cours d’eau dans lequel il allait régulièrement abreuver ses deux juments. Cet été-là s’était bien passé ; la moisson avait été abondante et, après la venue de la batteuse dans la cour de la ferme, les greniers à blé étaient pleins à dégorger. Jean-Marie avait donc toutes les raisons d’être satisfait et pourtant une grande ride barrait son front : Il était soucieux de l’état de santé de Rosette, une de ses juments.  La jument était pleine (enceinte) et Jean-marie avait fait tout ce qu’il pouvait pour la ménager durant l’été. Mais maintenant, alors qu’il n’y avait plus de grandes journées de travail à la ferme, Jean-marie retrouvait, tous les matins, sa jument couverte d’écume comme si un plaisantin s’était amusé à la faire courir toute la nuit. 

Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com

Ce soir-là, Jean-Marie décida donc de veiller un peu plus tard que d’habitude dans sa cuisine en espérant prendre le gredin sur le fait. Pour cela il comptait aussi sur l’aide de Fridu le chien attaché dans la cour. Mais le chien n’aboya pas et Jean-marie somnola, puis dormit le reste de la nuit sur sa chaise sans être réveillé. Au matin, Rosette était de nouveau couverte d’écume.

La petite exploitation de Jean-Marie était ce que l’on appelle, de nos jours, une longère ; il y avait la grande pièce de vie (dans laquelle, on avait fini par faire deux petites chambres), puis les celliers et enfin l’écurie. La crèche, la porcherie et le four à pain étaient bâtis à l’écart de la maison près du puits.
L’écurie, petite disposait de trois ouvertures ; à l’avant une porte donnait sur la cour, à l’arrière une autre porte donnait sur le tas de fumier, enfin une petite fenêtre de 20 cm par 30 cm située sur l’avant entre les deux stalles prétendait éclairer le local.

Jean-Marie était agacé d’avoir raté son malandrin et il déclara à Soize, après le repas du soir ;
_ « Je veux savoir qui se joue de moi, ce soir, j’irai dormir dans l’écurie ».
Soize, elle aussi inquiète de l’état de santé de la jument, ne répondit rien et Jean-Marie décida donc de passer sa nuit dans l’écurie. Il mit un peu de paille propre dans un recoin et s’assit pour passer la nuit. Mais Jean-Marie s’endormit et, au réveil, il s’aperçut que Rosette était couverte d’écume.

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Toute la journée Jean-Marie pesta contre son infortune et la ruse du malicieux qui avait réussi à faire sortir la jument sans le réveiller. Aussi le soir venu il retourna dormir dans l’écurie ; mais cette fois-ci il avait pris ses précautions et imaginé un plan.
Je vous ai dit que l’écurie possédait deux portes, mais aucune ne fermait « à clef ». Le système de fermeture des portes était le suivant : Dans le mur de l’écurie, à droite de chaque porte, il y avait un fer à cheval usagé enfoncé à coups de masse entre les pierres du mur. De ce fer à cheval pendait un bout de chaîne  qui, une fois passé dans deux trous réalisés dans la porte ressortait à l’extérieur et empêchait la porte de battre à tous vents grâce à l’inertie de son propre poids. Jean-Marie passa les bouts de chaînes à l’intérieur et ne les fit pas ressortir, bien au contrarie, il les  immobilisa à l’aide d’un clou passé dans une maille et fiché dans les portes. Puis il fit son lit en travers, juste derrière les juments et se prépara pour une longue nuit.
Soize était seule dans son lit et n’arrivait pas à trouver le sommeil, car elle craignait que si Jean-Marie attrapait son « voleur » comme elle disait, ils échangent des coups et que son mari revienne blessé. 
Vers Minuit, alors qu’elle commençait à somnoler, elle entendit Fridu hurler à la mort dans la cour. 
_ « Enfin », se dit-elle, « cette fois-ci nous saurons le fin mot de l’histoire ».
Soize avait à peine fin i de parler qu’elle entendit un hurlement inhumain, qu’elle ne pouvait comparer à rien de ce qu’elle avait entendu jusque là. Et ce qui l’effraya le plus c’est qu’elle avait l’impression que c’est Jean-Marie qui avait hurlé. Puis elle entendit un grand bruit de vent comme si une tornade était passée sur la ferme. Apeurée, Soize se leva, s’habilla et sortit dans la cour où elle vit Jean-Marie allongé, inanimé au milieu de la cour, près du hangar à 20 mètres de l’écurie. Le chien huait toujours à la mort tandis queSoize essayait de ranimer son mari ; ce qui  lui prit quelques minutes.
Quand Jean-Marie reprit connaissance, il fit taire le chien, entra dans la cuisine, se servit une verre de Lambig et alla se coucher.
Le lendemain matin, Jean-Marie se rendit à l’écurie, arracha un des fers à cheval fiché dans le mur pour déverrouiller la porte avant, déverrouilla la porte arrière de l’intérieur, sortit ses juments et les mena boire à la rivière.

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De ce jour, la jument ne fut plus en sueur le matin et Jean-Marie reprit sa vie « comme avant » sans jamais vouloir dire ce qui s’était passé cette nuit-là. Quand l’heure de Jean-Marie arriva, je fus le dernier à le voir vivant, mais même à l’article de la mort, il ne dit rien emportant son secret dans sa tombe.

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Date de dernière mise à jour : 28/07/2020