Comment est né le père Noël

Il était une fois un petit garçon qui était très pauvre. Il était si pauvre qu'il s'était aperçu lui-même qu'il était pauvre. Il voyait  autour de lui d'autres petits garçons et petites filles qui vivaient dans des châteaux ou de belles maisons, qui possédaient de merveilleux jouets et grignotaient des friandises à longueur de journée, tandis que lui, il habitait dans une cabane de fougères à l'orée de la forêt, était vêtu de haillons et devait se nourrir de ce qu'il ramassait sur les talus, le long des chemins.
Bien sûr, il trouvait que ce n'était pas juste,mais il ne savait pas pourquoi. Alors, il posa la question autour de lui.
_ Si tu es pauvre ; …  c'est parce que tu es pauvre, lui a-t-on répondu.
_ Ah bon ! Et qu'est-ce que ça veut dire : pauvre ?
_ Ça veut dire... ce que tu es !
_ Et pourquoi, moi, je suis pauvre, et pas les autres ?
_ Parce que c'est comme ça !
« Si c'est parce que "c'est comme ça", il n'y a rien à ajouter »,pensa-t-il. Et il se fit une raison.« Il y en a d'autres qui sont encore plus malheureux que moi, songea-t-il, pour se réconforter : ceux qui naissent bègues, estropiés ou aveugles ... Moi, au moins... » Et il se trouvait toutes sortes de qualités qui le remplissaient de fierté.
On lui avait  donné le nom de Noël pour la  simple et bonne raison qu'il était né le jour de Noël et que c'était marqué sur le calendrier. « Une  chance! Se disait-il. Ça aurait pu être Mardi gras, Fête Nat. ou Armistice ! »

Comme il était le benjamin d'une bonne douzaine de frères et de sœurs, ses parents s'occupaient peu de lui, sauf pour lui donner des corvées que les autres ne voulaient pas faire. C'est ainsi qu'il avait hérité de la garde de l'âne, des deux moutons et des trois chèvres qui constituaient le troupeau de la famille.
La compagnie de ces bêtes lui plaisait. Il leur parlait, puisqu'il n'avait personne d'autre avec qui discuter. Et comme il avait le temps de réfléchir à des tas de choses, ses conversations étaient animées, surtout avec les chèvres qui broutent de tout mais n'avalent pas n'importe quoi : Il fallait raisonner avec elles.Bref il n'était pas comme tout le monde et certains disaient qu'il était un peu bizarre!

Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com)

Un soir, alors qu'il revenait de la montagne avec son troupeau, il tomba sur un vieil homme, assis sur une grosse pierre, au bord du ruisseau que ses bêtes devaient traverser.
Apercevant l'inconnu, l'âne stoppa  net . Les  moutons, dociles,se rangèrent derrière l'âne. Seules les chèvres, qui ne peuvent jamais faire comme tout le monde, avancèrent, la corne basse.
Mais, arrivées au bord de l'eau, elles s'arrêtèrent brusquement,elles aussi, et demeurèrent là, flanc contre flanc, fixant l'inconnu de leurs yeux jaunes. Il y eut un grand silence.
_ Passez ! dit l’homme au bout d un long moment.
Et, alors seulement, les bêtes franchirent le ruisseau, la patte haute, sans la moindre éclaboussure. Très  impressionné, Noël salua l'inconnu.
_ Bonsoir à vous, Monsieur !
Le vieil homme l'observait sans mot dire. Il se contenta de hocher la tête.
_ Vous paraissez fatigué... reprit Noël.
Silence.
_ Seriez-vous  malade, Monsieur?
Rien.
_ Je peux peut-être vous venir en aide ?
L'homme se décida enfin à parler:
_ Oui ! Tu peux me rendre un grand service. Regarde un peu ! .Je crois que j'ai une épine plantée, là, dans mon pied. 
Noël s'agenouilla sur les cailloux, saisit le pied dont la plante n'était qu'une grosse épaisseur de corne toute crevassée.
_ Ce n'est pas une épine, s'écria-t-il, ce sont des graviers pointus. Vos crevasses en sont remplies. Vous avez dû beaucoup marcher! Je vais vous nettoyer tout ça. Puis j'y mettrai du « Louzou ».
L'homme approuva en hochant de la tête.
Noël arracha quelques feuilles d’orties, les froissa entre ses mains( en bloquant bien sa respiration pour ne pas être piqué) et se mit à frotter les plaies. La mousse verte fit merveille ! En un rien de temps, le pied était propre et luisant comme un pied de statue.
_ Maintenant, le « Louzou ». Je sais où il y en a. Ne bougez pas ! Je reviens !
Le « Louzou », c'était cette gomme brune qui coule sur le tronc des aubépines sauvages, qu’on appelle prunellier . Noël fit sa récolte et revint aussitôt. Avec la lame de son couteau, il bourra les crevasses de « Louzou », lissa soigneusement, attendit que ça sèche un peu puis dit au bonhomme:
_ Ça y est ! Essayez de marcher maintenant, pour voir ?
L'homme se leva et fit quelques pas sur la rive. Il était si grand que Noël dut reculer pour bien le voir. Lorsqu'il était assis, plié en deux ou trois sur sa pierre, ça ne se voyait pas qu’il était si grand, mais à présent qu’il était debout, il était si grand qu’il faisait un peu peur... !

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_ Tu m'as bien réparé! Dit le vieil homme.
Il mit la main dans sa poche et fit tinter des pièces de monnaie.
_ Qu'est-ce que je te dois?
Noël se mit à rire.
_ Je ne plaisante pas! Toute peine mérite salaire!
_ Un salaire parce que je vous ai aidé? Ça ne va pas, non! s'écria Noël indigné.
Il reprit son bâton et s'éloigna furieux.
_ Hé! Attends un peu! cria l'homme. Et regarde par ici, s'il te plaît!
Le ton était si impérieux que Noël s'arrêta et tourna la tête vers le vieil homme.
_ Que tu le veuilles ou non, tu auras ta récompense ! Combien de sous as-tu sur toi ?
Des sous? Noël savait ce que c'était, mais, il n'avait jamais possédé le  moindre sou de toute sa vie.
_ Fouille au moins dans ta poche, tête de mule, dit le vieil homme en s’énervant un peu.
Machinalement, Noël a obéi. Il retira tous ses trésors de sa poche, : un bout de ficelle, un bouton, son lance-pierres, quatre noisettes, trois glands.
_ Cherche bien ! Tout à fait au fond !
Noël sentit quelque chose de dur et de rond qui se trouva être une pièce de bronze, assez lourde. Il la contempla, ébahi.
_ Cinq sous! fit  l'homme. Eh bien, tu vois, qu'est-ce que je disais ! A présent, écoute bien : chaque fois que tu auras envie de quelque chose, tu  trouveras de l'argent dans tes poches! Tu sais ce que c est l'argent ?
_ •••
_ Ça ne fait rien ! Tu apprendras. Et quelles que soient tes dépenses, il te restera toujours une pièce de cinq sous. Compris? .
Noël n'avait rien compris, mais  il fit  comme si. 
L'homme semblait méditer en le regardant.
_ Tu sais ce que c'est, l'espérance? reprit-il  d'une voix plus douce.
_ L'espérance ... répéta Noël. Ce n'est pas ce que vous disiez tout à l'heure... l'argent?
L'homme haussa les épaules.
T_ u verras bien! dit-il. N'en parlons plus! Allez, salut!
Il pivota sur lui-même et lui tourna le dos.
_« Je l'ai contrarié »,  se dit Noël. confus.
Lorsqu'il releva la tête, l'inconnu s'éloignait d'un pas tout droit, vers le soleil couchant.

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_ « Me voilà bien avec mes cinq sous» songea Noël, passablement déboussolé. Est-ce qu'ils sont seulement encore là? »
Il fouilla dans la poche de son pantalon. Mais oui ! la pièce était là. Sa main avait plaisir à la tâter tellement elle était lourde, épaisse, bien ronde et lisse.
_ « Acheter  ce que je  veux? C'est  ce qu'il a dit... )
Acheter. C'était si nouveau qu'il se demandait:« Qu'est-ce que je  pourrais bien avoir envie d'acheter? »
Arrivé devant l'épicerie du village, il se planta, le nez contre la vitrine. Il y avait là une foule d'objets qu'il contemplait tous les jours, qu'il aurait bien voulu posséder mais dont il savait qu'ils n'étaient pas pour lui. Et voilà qu'aujourd'hui, il pouvait…
Ce  n'était pas tant pour acquérir quoi que ce fût, mais pour vérifier si ce qu'avait dit le bonhomme se réaliserait.
Après maintes hésitations, Noël se décida pour un sifflet posé sur l'étagère, à côté d'une magnifique toupie ronflante. La toupie c'était trop, mais avec le sifflet, ça marcherait peut-être. Il poussa la porte. La clochette, pendue au plafond, tinta au-dessus de sa tête.
_ Bonsoir  Madame ! Je voudrais le sifflet  qui est là, s'il vous plaît.
_ C'est trois sous, fit l'épicière, les bras croisés sous sa forte poitrine.
Noël mit la main dans sa poche. Il y trouva trois sous qu'il posa aussitôt sur le comptoir.
_ Bien ! dit l'épicière, surprise. Voilà ta musique !
_ « Ce chenapan vient de trouver ces pièces sur le chemin, à moins qu'il ne les ait volées! Il faudra que j'en parle au garde - champêtre! » songea-t-elle.
Une fois sorti, Noël glissa la main dans sa poche et trouva la pièce de cinq sous, devenue déjà  familière.
_« Ça marche ! » pensa-t-il. Et tout content, il examina son sifflet.
C'était un joli sifflet en métal brillant. Rien à voir avec les sifflets qu'il taillait lui-même dans des branches d'aulne. Pour les fabriquer, il fallait décoller l'écorce fraîche en tapant dessus avec le manche d'un couteau. en prononçant à toute vitesse les mots suivants :

Sa-habata, Sa-habati 
Pel de Crabi
Sa-habaril, Sa-habarol
De Dius At Holl!

Avec cette formule magique, on réussissait à tous les coups. On avait un sifflet! Mais allez comparer un bout de branche d'arbre avec un sifflet de luxe comme celui-ci!
Noël le porta à ses lèvres.
Moment solennel.
Pour la première fois de sa vie, il allait utiliser un objet qu'il n'avait pas fabriqué de ses propres mains.
Il siffla! Et ce fut bête comme chou ! Ce sifflet ne sifflait pas mieux que ses sifflets en bois d'aulne. Plutôt moins bien. Moins bien que les oiseaux, les chardonnerets, les loriots et les merles qui, dans les bois, sifflaient à ses oreilles toute la journée. Sans parler du rossignol ! Moins bien que ses propres lèvres, qui savaient imiter les oiseaux.
Qu'avait-il besoin d'un sifflet !
Mécontent de lui-même, ne sachant que faire de son fichu sifflet, il le cacha sous une pierre que, tout de même, il écorna avec une autre pierre, pour la reconnaître, si par hasard, un jour ... On ne sait jamais!


Le lendemain, Noël, un peu dégrisé, songeait à son aventure de la veille. La pièce de cinq sous était toujours là, bien tranquille, au fond de sa poche.
_ Quel mot, déjà, avait employé le bonhomme? L'espérance? Était-ce de la pièce qu'il voulait parler? « Tu verras bien! »avait-il dit. Bon! On verrait! 
Par contre, ce que Noël voulait savoir tout de suite, c'était si ça marcherait de nouveau.
Il recommença donc son manège. Avec succès ! Même chose les jours suivants. Il se mit à acheter des jouets de plus en plus gros, de plus en plus chers, en nombre de plus en plus grand. Le miracle se renouvelait à chaque fois. Quelle que fût sa dépense, il trouvait toujours dans l'une de ses poches, l'argent nécessaire.
Et quand il avait payé, il lui restait, intacte, la fameuse pièce de cinq sous.
Seulement, voilà! Il se passait une chose très désagréable. Une fois entre ses mains, ces jouets ne lui disaient plus rien. C'était bizarre... Alors, il recommençait, espérant que cela irait mieux à chaque fois... Mais non, toujours ce dégoût! Et les jouets s'amoncelaient. Comme il ne savait qu'en faire, il les cachait dans des grottes qu'il connaissait dans la montagne.

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Les stocks qu'il accumulait devinrent  si considérables qu'un beau jour, il se dit : 
_« Il n'y a pas ! Il faut que je m'arrête! Plus question d'acheter des jouets.»
Entre-temps, Noël avait grandi et il était tombé amoureux d'une fille du village qu'il connaissait depuis toujours et qui, elle aussi, bien sûr, avait grandi, en même temps que lui. Son nom était Marie. On l'appelait, Marie-Jolie, pour la distinguer d'une autre Marie qui, elle,  ne l'était pas.
 Ça aussi c'était injuste! Marie était jolie comme Noël était pauvre, autrefois. Allez  savoir  pourquoi?  C'était comme  ça!
Donc, Noël était amoureux de Marie-Jolie. Et comme avec toutes les dépenses qu'il faisait, une flatteuse réputation  de richesse l'entourait, les choses allèrent très vite. Noël demanda Marie en mariage et il obtint sur le champ son consentement.
On célébra les fiançailles. Noël voyait les choses en grand à présent. Ah, si vous aviez vu la bague qu'il offrit à Marie-jolie! Un diamant, gros comme un œuf de poule! Pour les noces, les  invités ne furent pas très nombreux parce qu'il n'avait pas encore beaucoup d'amis. Mais il voulut faire du Tralala, des musiciens et un bœuf à la broche alors que le  violoneux du village et  deux poulets auraient suffi.
Puis il fit construire une jolie petite chaumière, toute pimpante, sur le modèle d'un chalet suisse qu'il avait admiré tant de fois dans la devanture de l'épicerie.
La fête finie, la chaumière bâtie et les dépenses payées, la pièce de cinq sous était encore la.


Hélas! Trois fois hélas! Rien n'est jamais parfait. Noël n'était plus pauvre mais Marie-Jolie se  révéla être une fichue gourmande, paresseuse, vaniteuse  avide, insatiable et dépensière ... Des robes, des bijoux, un  salon, deux salons, une maison, un château, un parc, des invités, des banquets, des bals, des feux d'artifice, des fêtes, des fêtes...Tout ! Elle voulait Tout !
_ « Si, seulement la poche pouvait être vide et cette magie disparaître! »songeait Noël.
 Mais non! L'argent coulait à flots! Et cette fichue pièce était toujours prête à servir.
Au bout de quelque temps, Noël en eut plus qu'assez de ses richesses inépuisables. 
_« C'est ça l'espérance? se demandait-il. A quoi ça sert lorsqu'on sait, d'avance, que tout ce qu'on souhaite va se réaliser? »

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La renommée de Noël était arrivée aux oreilles du roi qui voulut connaître celui de ses sujets qui donnait des fêtes plus somptueuses que celles de la Cour.
_ Raconte-moi ton histoire, ordonna le roi, lorsque Noël se présenta devant lui.
Ce dernier raconta son histoire en l'arrangeant un peu.
C'est-à-dire qu'il ne parla que des souvenirs qui lui étaient agréables : sa rencontre avec le bonhomme au bord du ruisseau, l'histoire du sifflet , son émerveillement devant Marie-Jolie, son bonheur dans la jolie petite chaumière qu'ils avaient habitée au début.
Le roi écoutait attentivement mais, à la fin, il se mit à toquer d'un doigt impatient sur l'accoudoir de son trône.
_ Et l'argent? demanda-t-il.
Noël fut bien obligé de reconnaître qu'il avait le pouvoir de produire de l'argent autant qu'il en voulait.
_ C'est bien ce que je pensais! dit le roi. Voilà un pouvoir très utile! Ta place serait, évidemment, à mon ministère des Finances. Mais je te propose encore plus. Celui qui est capable de mener ses propres affaires comme tu l'as fait, est certainement capable de diriger  un pays. Donc, je te nomme Premier ministre. Tu seras le chef de mon gouvernement. 
Pour un ancien petit pauvre, ce n'était pas mal! Et Noël s'appliqua, avec ferveur, à gouverner pour le bien de tous.
Hélas! Il découvrit très vite que le bien de tous, c'est d'abord le bien de chacun. Dès les premières mesures qu'il prit, ce fut un beau tollé !
_ Et  moi?... Et moi?... Et nous?... Et nous?...
Les gens se moquaient du bien public et ne voulaient de l'égalité à aucun prix.
_ Ils y viendront, à la longue, songeait Noël car il était optimiste.
Ce qui leur manque, c'est une meilleure compréhension des choses. S'ils étaient initiés aux mystères de l'univers,    leurs préoccupations leur paraîtraient bien terre à terre !
Il convoqua. donc un grand nombre de savants qu'il chargea de trouver une solution pour élever l’esprit de ses sujets.:
Quelle histoire !
D'abord, les savants n'étaient pas d'accord entre eux. Chacun prétendait détenir la vérité et refusait catégoriquement celle des autres.
Pis encore. Lorsqu'il arrivait qu'un savant, tout content, trouvât la réponse à une question sur l'univers, ses confrères soutenaient aussitôt que cette réponse posait elle-même dix questions. _ «  Et comment ceci?... Et pourquoi cela?... » Si bien que la science, au lieu d'avancer, reculait, puisque la part de ce qu'on ne savait pas augmentait au lieu de diminuer.
Dépité, Noël se dit qu'il avait été trop ambitieux. « Puisque la science ne peut pas les éclairer, je vais, tout au moins, leur assurer la tranquillité. "
_ « Il faut que tous les enfants apprennent à lire et à écrire. Décida Noël
_  « Mais ça ne sert à rien ! Qu’on lui a dit. Si les enfants savent lire, écrire et compter, on ne pourra plus les obliger à travailler pour rien !
_ « J’insiste ! Répondit Noël. Il faut qu’ils aillent à l’école pour avoir un bon métier plus tard.
_ « Mais ça ne sert à rien ! Qu’on lui a dit. Si les enfants vont à l’école, qui va garder les vaches dans les champs ?
Et il fit coller de grandes affiches qui, sur les murs des villes et des villages, répétaient : Vive l’école! Vive l’école!
Il apprit le lendemain  que, dans la nuit, des affiches avaient été déchirées et certaines arrachées. Les gens, méfiants, s'interrogeaient. L’école? Pourquoi l’école ? Qu'est-ce que ça cache? Encore une manœuvre pour nous voler nos enfants!

Écœuré, Noël finit par présenter sa démission au roi.
Le soir même, il quitta le palais présidentiel et prit le chemin de sa chaumière. 
_ « Marie-Jolie sera contente de me voir ! Me reconnaîtra-t-elle seulement? » se demanda-t-il en plaisantant. 
Et pour corser la plaisanterie, il imagina que ce serait bien de se déguiser pour faire une surprise à Marie-Jolie.
A l'auberge où il s'arrêta pour passer la nuit, il rencontra un mendiant avec un bonnet fourré, une cape rouge et des grandes bottes noires qui lui plurent. 
_ « Voilà mon déguisement tout trouvé », se dit-il.
Il échangea ses beaux habits brodés de diamants et cousus de fils d’or contre les modestes vêtements du mendiant. Celui-ci, enchanté de l'aubaine, lui fit cadeau de la hotte où il mettait les chiffons qu’il trouvait sur la route.

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La nuit tombait lorsque Noël arriva au village, le lendemain. 
De loin, il perçut les clameurs et les flonflons d'une fête. Il voyait,reflété sur les nuages bas, le  rougeoiement des illuminations.
_ « Mon absence ne semble pas avoir causé de la peine à personne!» songea-t-il tout dépité.
Dissimulé par les feuillages, il fit le tour du jardin où se donnait la fête. Le spectacle était merveilleux. Une foule de beaux messieurs et de belles dames se pavanaient dans les allées. Les lumières des guirlandes tremblaient sur l'eau du bassin dans lequel un grand jet d’eau semblait monter jusqu’au ciel. Les fumets qui s'échappaient des cuisines étaient délicieux. 
Noël tomba sur un groupe de petits paysans qui, cachés au bord d'un ruisseau, se régalaient de ces lumières de fête et de ces odeurs de festins.
_ « Venez avec moi, dit-il aux enfants, peut-être que je pourrai faire inviter! »


Les enfants le dévisagèrent avec stupeur : Qui pouvait-être ce monsieur bizarre avec un bonnet fourré, une cape rouge et des grandes bottes noires qui leur parlait.
Noël écarta les branches pour mieux voir. 
Les invités se pressaient, de plus en plus nombreux, le long des parterres. Et soudain, parmi eux, Noël reconnut Marie-Jolie, plus belle que jamais, en robe d'apparat, un diadème étincelant dans les cheveux. A ses côtés, un jeune homme à fine moustache faisait le joli cœur en lui tenant la main.
_ «  Sacrebleu! jura Noël, soudain furieux.
Oubliant les enfants qui l'entouraient, il allait s'élancer, les poings en avant, lorsqu'une voix s'écria derrière lui
-_ « Cet endroit ne te rappelle rien ? »
Noël se retourna vivement.
_ « Quel endroit? » et « Qui lui parlait ainsi ? »
C'était le vieil homme aux cinq sous.
_ « Le ruisseau! Tu ne le reconnais pas? »
Noël regarda autour de lui. Eh oui, le ruisseau, les arbres, la grosse pierre ... C'était  à cet endroit que tout avait commencé.
_ Les cinq sous! » s'écria-t-il soudain.
Noël fouilla précipitamment dans sa poche et tendit la pièce à l'homme qui la lui avait donnée.
_ « Reprenez-là ! Je n'en veux plus, » cria-t-il.
L'homme noua ses mains derrière son dos. Il paraissait indécis.
_ « Et tout ça, fit-il au bout d'un moment. » 
Du menton, il désignait le château, le parc, la fête. 
_ « Qu'allons-nous faire de tout ça? »
Noël brandit ses poings, comme s’il avait une hache et qu'il allait tout abattre.
L'homme eut un sourire évasif et secoua la tête.
_ « Non! Ce n ‘est pas une bonne idée ». « Je crois que j'ai une bien meilleure idée. J'espère que tu n'as pas oublié comment on fait des ricochets ! »
_ « Pardon? » demanda Noël
_ « Je te demande si tu sais encore faire des ricochets ? »
_ « Bien sûr que je sais! »
Au mot de ricochet, les enfants s'approchèrent, très intéressés.
_ « Montre-nous un peu ! Tiens, là, sur le virage de la rivière ! »
Noël prit son élan, se baissa comme il convient de le faire pour réussir de beaux ricochets, et vlan!
_  « Un ... deux... trois ... quatre... cinq..., » comptèrent les enfants émerveillés. 
Hop ! Hop ! Hop ! Et, là-bas, tout au bout, au dernier ricochet, la pièce se transforma en un bel oiseau bleu qui disparut dans l'ombre en un faisant un grand éclair de lumière.
Au même moment, toutes les lumières s'éteignirent, la fête s'évanouit. Il ne resta plus que la nuit, les étoiles et un grand silence.


L'homme aux cinq sous s'était volatilisé. Les enfants, un peu apeurés, vinrent se blottir contre Noël.
_ « C'était une jolie fête! » murmura l'un d'eux.
_ « Oui! Mais elle n'était pas pour nous! » dit un autre.
_ « C'est bien dommage ! »
_ « Qu'est-ce qui est dommage? » demanda Noël.
_ «  Ben ! Qu'il n'en reste rien ! » dit la même voix tristounette.
_ « Mais il en reste quelque chose », pensa Noël tout à coup, et son visage s'illumina. 
Il songeait à ces tonnes de jouets, des tonnes et des tonnes, qu'il avait accumulées dans les grottes de la montagne. « J'en aurai au moins pour mille ans. à les distribuer ! »
Avant de rentrer au village, les enfants contemplèrent une dernière fois cet étrange personnage avec son costume rouge, son bonnet  fourré, ses grosses bottes.·
Au moment où Noël reprenait sa hotte pour la mettre sur son dos, le plus petit de la bande vint se planter devant lui, le nez en l'air.
_ « Comment tu t'appelles? » Lança-t-il.
_ Mon nom est Noël!
_ Noël? ... C'est un drôle de nom! s'écria le petit en éclatant de rire.
Les autres riaient aussi.
_ Il faudra vous y faire, mes petits ! murmura Noël en souriant. Avec tous le jouets que j’ai à distribuer, vous n'avez pas fini d'entendre parler de moi!

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Date de dernière mise à jour : 11/12/2022