LA SORCIÈRE DE LAGGAN

LA SORCIÈRE DE LAGGAN.   Badenoch  Highlands

Documentation : Lord Blackwood
Tradution : Armanel - conteur /2023

Vous vous rapplez sans doute de la fin tragique de JOHN GARVE MACGILLICHALLUM, de Raasay,
mais si, je voous en ai déjà parlé !


Le même jour, un autre héros, célèbre pour sa haine de la sorcellerie, se réchauffait dans sa cabane de chasse, au milieu de la forêt de Gaick, à Badenoch*.
Ses chiens fidèles, fatigués par la chasse du matin, gisaient étendus sur le sol à ses côtés. Son fusil, qui ne manquait jamais sa cible, était posé dans le coin de la cabane, son skian dhu (petit poignard noir) effilé pendait à ses côtés, et tous ceux-ci constituaient sa seule compagnie. 
Alors que le chasseur était assis à écouter la tempête hurlante qui sifflait à travers les jointures de sa cabane de chasse, un chat apparemment mis à mal par les intempéries, frissonnant de froid et trempé jusqu’aux os se présenta à la porte. Aussitôt, les poils des chiens se hérissèrent, et ils se levèrent  pour attaquer le chat pitoyable, qui tremblait à la porte. 
« Grand chasseur des collines, s’exclama le pauvre chat tremblant, je réclame votre protection. Je connais votre haine envers mon peuple, et peut-être n’est -ce que justice. Oh épargnez une pauvre misérable créature, qui se présente ainsi devant vous pour vous protéger de la cruauté et de l’oppression de ses congénères. » 
Ému par ce discours éloquent, et refusant de profiter de la faiblesse de son plus grand ennemi dans une situation aussi désespérée, il calma ses chiens furieux et proposa à la sorcière transformée en chat de s’avancer vers le feu pour se réchauffer.
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« Je ne peux pas le faire, dit-elle, à moins que vous attachiez vos deux chiens furieux avec ces longs poils, car je crains qu’ils ne me déchirent avec leurs crocs tranchants. Je vous prie donc, mon cher monsieur, d’avoir la bonté de les attacher solidement par le cou avec ces longs cheveux à l’anneau qui est fiché dans le mur. » 
Mais la nature curieuse des cheveux a incité le chasseur à se méfier un peu. Aussi, au lieu d’attacher ses chiens à l’anneau, comme elle le demandait, il a préféré les lier à une poutre de bois qui était posée à même le sol entre eux deux. La sorcière transformée en chat, croyant que les chiens étaient solidement ligotés, s’approcha alors du feu et s’accroupit  pour se sécher. Elle n’était pas assise depuis bien longtemps que le chasseur put facilement voir une augmentation frappante de sa taille, ce qu’il ne pouvait s’empêcher de se faire remarquer sur un ton taquin : 
« Vous semblez vous rétablir très rapidement, vilaine bête, dit le chasseur sur un ton mi-ironique mi-amusé; « Voila que vos devenez très grosse. » 
« Oui, oui, » répondit le chat avec le même ton de plaisanterie, « comme mes poils absorbent la chaleur, ils se dilatent naturellement. » 
Ces blagues, cependant, n’étaient qu’un prélude à une conversation plus sérieuse. La chatte, poursuivant toujours sa croissance, avait finalement atteint une taille des plus extraordinaires. A ce moment, en un clin d’œil, elle retrouva son apparence humaine sous les traits de la sage-femme de Laggan, et s’adressa ainsi à lui:
« Chasseur des collines, votre dernière heure est arrivée. Me voici devant vous. Je suis le champion déclaré de mon peuple, dont Macgillichallum de Raasay et vous avez toujours été les ennemis les plus implacables. Mais Raasay n’est plus. Son dernier souffle est enfui. Il gît désormais, cadavre sans vie, sur le fond de la mer. Et maintenant, Chasseur des collines, c’est à ton tour de mourir.
 A ces mots, prenant une apparence des plus hideuses et des plus effrayantes, elle sauta sur le chasseur. Les deux chiens, qu’elle croyait solidement liés par les poils infernaux, se jetèrent sur elle à leur tour, et un combat des plus furieux s’ensuivit. La sorcière, attaquée de manière inattendue par les chiens, commença  à se repentir de sa témérité. 
« Serrez. Cheveux, Serrez », scandait-elle  car elle croyait que les chiens avaient été liés par les poils. Et les cheveux se serrèrent si efficacement, suivant ses ordres, qu’ils finirent par briser la poutre en deux. 
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Finalement, se trouvant totalement cernée par les chiens, elle tenta de battre en retraite, mais les chiens étaient si solidement acrrochés à elle qu’elle pouvait à peine se dégager d’eux pour respirer. Hurlant et gémissant la sage femme de Laggan rampa hors de la maison, traînant avec elle les chiens, qui  ne lâchèrent pas leur prise jusqu’à ce qu’elle les morde et les déchiquette avec ses dents en ivoire. Puis se métamorphosant en corbeau, elle s’enfuit à travers les montagnes en direction de sa maison. 
Les deux chiens fidèles, ensanglantés et épuisés, retournèrent vers leur maître et, lui léchant la main une dernière fois, tombèrent tous deux à ses pieds et expirèrent. 
Regrettant leur perte avec un chagrin connu seulement du parent qui pleure sur les corps sans vie de ses enfants décédés, il a enterré ses chiens dévoués et est rentré chez lui auprès de sa famille. Sa femme n’était pas dans la maison quand il est arrivé, mais elle a rapidement fait son apparition. 
« Où étais-tu, ma chérie? » demanda le mari. 
« J’étais à Laggan, répondit-elle, et  j’ai vu la sage-femme  être saisie de convulsions dues à une maladie si grave que personne ne s’attend à ce qu’elle vive longtemps. » 
« Aye! Oui, dit-il, que s’est-il passé avec la sage-femme ? » 
« Elle s’est absentée toute la journée pour aller récolter de la tourbe, répondit sa femme, et a été saisie d’une colique soudaine, pour avoir marché trop longtemps pieds nus dans la tourbe détrempée; Et maintenant, tous ses amis et voisins attendent sa fin prochaine. » 
« Pauvre femme, dit le mari, Je suis désolé pour elle. S’il te plaît apportes-moi à dîner; Ensuite je me rendrai à Laggan afin de la voir moi aussi. » 
Une fois son dîner avalé, le chasseur se rendit immédiatement à la maison de la sage-femme Laggan, où il trouva une grande assemblée de voisins pleurant, avec une grande sincérité, le décès imminent d’une femme qu’ils avaient tous jusque-là estimé vertueuse. Le chasseur, s’approchant du lit de la malade dans une colère, proportionnelle à la grandeur de la perte de ses deux chiens chéris, arracha toutes les couvertures  qui recouvraient la malade. La sorcière maintenant exposée à la vue de tous poussa un cri si horrible et si strident que toute la compagnie se rapprocha d’elle. 
_ »Voici, dit-il, l’objet de votre sollicitude ; ce n’est rien de moins qu’une sorcière infernale. Aujourd’hui même, elle m’a informé qu’elle était présente à la mort du Laird de Raasay, et quelques heures à peine se sont écoulées depuis qu’elle a tenté de me faire partager son sort. 
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Alors le chasseur rapporta toutes les circonstances de son agression contre lui. Ses paroles étaient corroborées par les marques évidentes qu’elle portait sur sa personne, et toute la compagnie était totalement convaincue de sa criminalité. Le châtiment habituel réservé aux sorcières était sur le point de lui être infligé, quand la misérable femme s’adressa à eux en ces termes: 
« Mes amis, mes chers amis, épargnez toutes ces souffrances inutiles à une vieille connaissance, déjà dans l’agonie de la mort. Je me repends de mes crimes et de ma folie. Mon vil et perfide séducteur, ennemi de vos intérêts temporels et spirituels, se moque de moi dans ma détresse; et, en récompense de ma fidélité à le servir, à séduire tout ce qui était aimable, et à détruire tout ce qui était bon, il est sur le point de reléguer mon âme à la misère éternelle. Que mon exemple soit un avertissement à tous les êtres humains pour qu’ils évitent la pente fatale sur laquelle j’ai glissé. Et afin de vous donner des arguments pour les convaincre  de rester dans le droit chemin, j’expierai mon iniquité en vous détaillant la terrible histoire de ma vie.
 Alors, la sage-femme de Laggan détailla longuement la façon dont elle fut séduite par le Malin, toutes les aventures criminelles dans lesquelles elle avait été engagée, et termina par le récit particulièrement horrible de la mort de Macgillichallum de Raasay, puis de son attaque contre le chasseur. Après avoir confessé toutes ses fautes, elle mourut.
Pendant ce temps, un voisin de la sage-femme de Laggan rentrait chez lui, tard dans la nuit, de Strathdearn, où il avait fait quelque affaire, et venait d’entrer dans la morne forêt de Monalea, à Badenoch, quand il rencontra une femme vêtue de noir, qui courait à grande vitesse, et demanda au voyageur, dans une grande agitation, à quelle distance elle se trouvait du cimetière de Dalarossie, et si elle pouvait y être pour midi. Le voyageur lui a dit qu’elle le pourrait, si elle continuait à courir au même rythme. Elle s’enfuit alors le long de la route, poussant les lamentations les plus lugubres, et le voyageur continua sa route vers Badenoch. 
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Cependant, il n’avait pas parcouru beaucoup de kilomètres qu’il rencontra un gros chien noir qui passa devant lui à grande vitesse, comme s’il était sur la piste d’une odeur. Et peu de temps après, il rencontra un autre grand chien noir qui courait de la même manière. Le dernier chien, cependant, était à peine passé, qu’il rencontra un homme noir robuste sur un beau cheval noir de jais galopant dans la même direction que les chiens. 
« S’il vous plaît », demanda le cavalier au voyageur, avez-vous rencontré une femme alors que vous marchiez le long de la colline ? 
Le voyageur a répondu par l’affirmative. 
« Et avez-vous rencontré un chien peu de temps après ? » continua le cavalier. 
Le voyageur a répondu qu’il l’avait fait. 
« Et, » ajouta le cavalier, « pensez-vous que le chien la rattrapera avant qu’elle puisse atteindre l’église de Dalarossie? »
 « Il sera, en tout cas, très près d’elle », répondit le voyageur. 
Chacun a ensuite suivi son propre chemin. Mais avant que le voyageur eût atteint Glenbanchar, le cavalier le dépassa à nouveau, avec ladite femme devant lui à travers de sa selle, et l’un des chiens attaché sur sa poitrine, et l’autre sur sa cuisse. 
« Où avez-vous rattrapé la femme ? » demanda le voyageur. 
« Juste au moment où elle entrait dans le cimetière de Dalarossie », répondit le cavalier noir. 
De retour chez lui, le voyageur, apprit le sort de la malheureuse sage-femme  de Laggan, et il comprit immédiatement la nature de la compagnie qu’il avait rencontrée sur la route. C’était, sans aucun doute, l’esprit de la sage-femme de Laggan volant vers le cimetière de Dalarossie pour se protéger des esprits infernaux. Car le cimetière de Dalarossie est un lieu si sacré qu’une sorcière est immédiatement dissoute de tous ses liens avec Satan si elle y fait un pèlerinage, morte ou vivante. 
Mais il semble que la malheureuse épouse de Laggan y soit arrivée trop tard.
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* Le Badenoch (Bàideanach en gaélique écossais) est une région traditionnelle d'Écosse bordée au nord par les monts Monadhliath, à l'est par les Cairngorms, au sud par les monts Grampians et à l'ouest par le district de Lochaber. Les principales localités du Badenoch sont Alvie, Laggan et Kingussie, son chef-lieu.

Au Moyen Âge, la seigneurie de Badenoch a été détenue par la famille Comyn jusqu'en 1306. 
En 1371, le roi Robert II la confèra à son troisième fils Alexandre Stuart, surnommé « le Loup de Badenoch » pour sa cruauté. 
En 1451, le titre de seigneur de Badenoch est attribué à Alexander Gordon et sera transmis par la suite parmi les comtes puis marquis de Huntly.
Depuis 1973, le Badenoch fait partie du Ward de Badenoch and Strathspey, une subdivision du Council Area des Highland.

Date de dernière mise à jour : 17/07/2023