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Le château de cristal

Armanel, conteur celte, entrelac celtique BOVLe Château De Cristal    Prat (Côtes d’Armor)
Connu aussi sous le titre : La femme du soleil

 

Il y avait autrefois  un homme, appelé Iouenn Dagorn, et sa femme, Mona, qui étaient très pauvres et qui avaient sept enfants, six garçons et une fille. Le plus jeune des garçons, Yvon, et la fille Yvonne étaient les souffre-douleur de leurs cinq frères qui leur faisaient toutes sortes de misères. 
La pauvre Yvonne en était toute triste, et ne riait presque jamais. Tous les matins, Yvonne allait garder les vaches et les moutons, sur une grande lande, avec un morceau de pain sec pour tout repas, et elle ne rentrait que le soir, au coucher du soleil. Un matin qu’elle conduisait ses vaches et ses moutons au pâturage, Yvonne rencontra un jeune homme si beau et si brillant qu’elle crut voir le soleil en personne. Le jeune homme s’avança vers elle et lui demanda :
— « Voulez-vous vous marier avec moi, jeune fille ? »
Yvonne était bien étonnée et bien embarrassée, et ne savait pas quoi répondre.
— « Je ne sais pas », dit-elle, en baissant les yeux. 
— « Réfléchissez bien, car demain matin, à la même heure, je reviendrai ici pour avoir votre réponse. »
Et le beau jeune homme disparut. Toute la journée, Yvonne ne fit que rêver à lui. Au coucher du soleil, elle revint à la maison, poussant devant elle son troupeau en chantant gaiement. Tout le monde en fut étonné, et ses frères se demandaient:
— « Qu’est-il donc arrivé à Yvonne, pour chanter de la sorte ? »

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Après avoir rentré ses vaches et ses moutons à l’étable, Yvonne se rendit auprès de sa mère, lui raconta son aventure et lui demanda ce qu’elle devait répondre le lendemain.
— « Pauvre folle ! » Lui répondit sa mère,  « tu as du rêver tout ça. Et pourquoi voudrais-tu te marier, pour être malheureuse loin de nous ? »
— « Je ne  serai jamais plus malheureuse que je le suis maintenant. » répondit Yvonne.
Mona haussa les épaules, et lui tourna le dos.

Le lendemain matin, au lever du soleil, Yvonne se rendit sur la lande avec ses vaches et ses moutons. Au même endroit que la veille, elle rencontra le beau jeune homme, qui lui demanda:
— « Eh bien ! Mon enfant, voulez-vous être ma femme ? »
_ « Je le veux bien, » répondit Yvonne en rougissant.
— « Alors, je vais vous accompagner chez vos parents, pour leur demander votre main ». Dit le beau jeune homme.

Et le beau jeune homme se rendit avec Yvonne chez ses parents. Iouenn, Mona  et les frères furent étonnés de voir un si beau prince, et si richement vêtu, vouloir épouser une pauvre bergère, et personne n’osa dire non.
_ « Mais, qui êtes-vous ? » demanda Mona.
_  « Vous le saurez, le jour du mariage, » répondit le prince.

On fixa un jour pour la cérémonie et le prince partit,  laissant tout le monde dans le plus grand étonnement, et on s’occupa des préparatifs de la noce.

Au jour convenu, le prince vint, avec un garçon d’honneur presque aussi beau que lui. Ils étaient dans un beau carrosse doré, attelé de quatre magnifiques chevaux blancs ; et ils étaient si brillants qu’ils éclairaient tout sur leur passage.
Les noces furent célébrées avec beaucoup de pompe et de solennité, et, en se levant de table, le prince dit à Yvonne, sa femme nouvellement mariée, de monter dans son carrosse pour qu’il la conduise dans son palais. Yvonne lui demanda de lui laisser un peu de temps afin d’emporter quelques vêtements.
— « C’est inutile », lui dit le prince, « vous en aurez des centaines dans mon palais ».
Et Yvonne monta dans le carrosse à côté de son mari. Au moment de partir, ses frères demandèrent :
— « Quand nous voudrons faire visite à notre sœur, où pourrons-nous la voir ? »
— Au Château de Cristal, de l’autre côté de la Mer Noire, répondit le prince. Et il partit aussitôt.

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Un an plus tard, les six frères n’avaient eu aucune nouvelle de leur sœur, et ils étaient curieux de savoir comment elle vivait avec son mari. Ils décidèrent donc d’aller à sa recherche. Les cinq aînés montèrent donc sur de beaux chevaux et se mirent en route. Le jeune frère Yvon voulut aussi les accompagner, mais ils l’obligèrent à rester à la maison.
Ils marchaient, ils marchaient, toujours du côté du soleil levant, en demandant partout la route du Château de Cristal. Mais, personne ne savait où se trouvait le Château de Cristal. 

Un jour enfin, après avoir traversé beaucoup de pays, ils arrivèrent à la lisière d’une grande forêt. Ils demandèrent à un vieux bûcheron s’il ne connaissait pas la route pour aller au Château de Cristal. Le bûcheron leur répondit :
— « Il y a dans la forêt une grande allée que l’on appelle l’allée du Château de Cristal, et peut-être conduit-elle au château dont vous parlez, mais, moi, je n’y suis jamais allé. »

Les cinq frères entrèrent dans la forêt. Ils n’étaient pas allés loin, qu’ils entendirent un grand bruit au-dessus de leurs têtes, comme si un orage passait sur les cimes des arbres, avec du tonnerre et des éclairs. Ils en furent effrayés, et leurs chevaux aussi, au point qu’ils eurent beaucoup de peine à les maintenir. Mais, le bruit et les éclairs cessèrent bientôt, et ils continuèrent leur route. Comme la nuit approchait, ils étaient inquiets, car la forêt était remplie de bêtes fauves de toute sorte. Un des cinq frères monta sur un arbre, pour voir s’il n’apercevrait pas le Château de Cristal.
— « Que vois-tu ? » Lui demandèrent ses frères, d’en bas.
— « Je ne vois que des arbres de tous les côtés !… »
Il descendit de l’arbre, et ils se remirent en marche. Mais, quand la nuit tomba pour de bon, ils ne voyaient plus assez pour se diriger dans la forêt. Un d’eux monta encore sur un arbre.
— « Que vois-tu ? » Lui demandèrent ses frères.
— « Je vois un grand feu, là-bas ! »
— « Jette ton chapeau dans la direction du feu, et descends ».
Et ils se remirent en route, dans la direction où était le feu, persuadés qu’il devait y avoir là une habitation humaine. Mais, bientôt ils entendirent encore un grand bruit, au-dessus de leurs têtes, beaucoup plus grand que la première fois. Les arbres s’entrechoquaient et craquaient, et des branches cassées et des éclats de bois tombaient à terre, de tous côtés. Et du tonnerre ! Et des éclairs !… c’était effrayant !… Puis, tout d’un coup, le silence se rétablit, et la nuit redevint calme et sereine.

Ils reprirent leur marche, et arrivèrent au feu qu’ils cherchaient. Une vieille femme, aux dents longues et branlantes y jetait du bois. Ils s’avancèrent jusqu’à elle, et l’aîné d’entre eux lui parla de la sorte :
— « Bonsoir, grand-mère ? Pourriez-vous nous montrer le chemin pour aller au Château de Cristal ? »
— « Oui bien sûr, mes enfants, je sais où est le Château de Cristal, mais, attendez que mon fils aîné soit rentré, et il vous donnera des nouvelles toutes fraîches du Château de Cristal, car il y va tous les jours. Il est en voyage, pour le moment, mais, il ne tardera pas à rentrer. Peut-être même l’avez-vous vu, dans la forêt ? » Répondit la vieille dame
— « Nous n’avons vu personne, dans la forêt, grand-mère ».
— « Vous avez dû l’entendre, alors, car on l’entend partout où il passe….Tenez ! Le voilà qui arrive : l’entendez-vous ? »
Et ils entendirent, en effet, un vacarme pareil à celui qu’ils avaient entendu deux fois, dans la forêt, mais plus effrayant encore.
— « Cachez-vous vite sous les branches d’arbres,  car mon fils a toujours faim quand il rentre, et j’ai peur qu’il vous mange.» leur dit la vieille femme.

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Les cinq frères se cachèrent de leur mieux, et un géant descendit du ciel, et, dès qu’il toucha la terre, il se mit à flairer en l’air et dit :
— « Il y a ici une odeur d’enfants, mère, et il faut que je les mange, car j’ai grand’faim ! »
La vieille prit un gros bâton, et, le montrant au géant :
— « Tu veux toujours tout manger, toi ! Mais, gare à mon bâton, si tu fais le moindre mal à mes neveux, les fils de ma sœur, des enfants si gentils et si sages, qui sont venus me voir. »
Le géant trembla de peur, à la menace de la vieille, et promit de ne pas faire de mal à ses cousins.
Alors, la vieille dit aux cinq frères qu’ils pouvaient se montrer, et les présenta à son fils, qui dit : 
—« Ils sont bien gentils, mes cousins, mais, comme ils sont petits, mère ! »
— « Non seulement tu ne leur fera pas de mal, mais, il faut aussi que tu leur rendes un service, » lui dit sa mère.
— « Quel service faut-il donc que je leur rende ? »
— « Il faut les conduire au Château de Cristal, où ils veulent aller voir leur sœur. »
— « Je ne peux pas les conduire jusqu’au Château de Cristal, mais, je les conduirai un bon bout de chemin, et je leur montrerai la route. »
— « Merci, cousin, nous n’en demandons pas davantage, » dirent les cinq frères.
— « Eh bien ! Couchez-vous là, près du feu, et dormez, car il faut que nous partions demain matin, de bonne heure. Je vous réveillerai, quand l’heure sera venue. »
Les cinq frères se couchèrent dans leurs manteaux, autour du feu, et ils firent semblant de dormir ; mais, ils ne dormaient pas, car ils avaient peur de leur cousin le géant. Celui-ci se mit à table pour souper, et à chaque bouchée il avalait un mouton entier.

Vers minuit, il réveilla les cinq frères et leur dit:
— « Allons ! Debout, cousins ; il est temps de partir ! »
Le géant étendit un grand drap noir sur la terre, près du feu, et dit aux cinq frères de se mettre dessus, montés sur leurs chevaux. Puis le géant entra dans le feu, et sa mère y jeta beaucoup de bois. A mesure que le feu augmentait, les frères entendaient un bruit pareil à celui qu’ils avaient entendu dans la forêt. Et, peu à peu, le drap noir sur lequel ils étaient se soulevait de terre, avec eux et leurs chevaux. Quand les habits du géant furent entièrement brûlés, il s’éleva dans l’air, sous la forme d’une énorme boule de feu. Le drap noir s’éleva aussi à sa suite, emportant les cinq frères et leurs chevaux. Au bout de quelque temps, le drap noir, avec les cinq frères et leurs chevaux, se posa dans une grande plaine. Une moitié de cette plaine était aride et brûlée, et l’autre moitié était fertile et couverte d’herbe haute et grasse. Dans la partie aride et brûlée de la plaine, il y avait un troupeau de chevaux luisants et gras. Dans la partie où l’herbe était abondante et grasse, on voyait un autre troupeau de chevaux maigres, décharnés et se tenant à peine sur leurs jambes. Et ils se battaient et cherchaient à se mordre.
Le géant, transformé en boule de feu, avait déposé les frères sur cette plaine, et il leur avait
dit :
— « Voilà ! vous êtes sur la bonne route pour aller au Château de Cristal, mais je ne peux pas vous conduire plus loin ».

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Leurs chevaux moururent en touchant la terre, et les cinq frères étaient donc obligés de continuer à pied. Ils essayèrent d’abord de prendre chacun un des beaux chevaux qu’ils voyaient dans la partie aride de la plaine ; mais, ils ne purent jamais en venir à bout. Ils choisirent, alors, les chevaux maigres et décharnés, en prirent chacun un, et montèrent dessus. Mais, les chevaux les emportèrent parmi les ajoncs et les broussailles qui couvraient une partie de la plaine, et les jetèrent à terre, tout meurtris et sanglants. Ils étaient bien embêtés.
— « Retournons à la maison, nous n’arriverons jamais à ce château maudit », dit un d’eux.
— « C’est ce que nous avons de mieux à faire », répondirent les autres.
Et les cinq frères retournèrent sur leurs pas. Mais, ils évitèrent de repasser par l’endroit où ils avaient rencontré la vieille femme qui entretenait le feu, et son fils le géant.
Ils arrivèrent enfin à la maison, après beaucoup de mal et de fatigue, et racontèrent tout ce qui leur était arrivé pendant leur voyage. Leur jeune frère Yvon était assis au coin de la cheminée, et, quand il entendit le récit de leurs aventures, il dit: 
— « Moi aussi, je veux tenter l’aventure et je ne reviendrai pas à la maison sans avoir vu ma sœur Yvonne ».
— « Tu n’es qu’un imbécile ! » Lui dirent ses frères, en haussant les épaules.
— « Oui, j’irai et je verrai ma sœur Yvonne, vous dis-je».
On lui donna un vieux cheval fourbu, et il partit, seul.

Yvon suivit la même route que ses frères, se dirigeant toujours du côté du soleil levant, arriva aussi à la forêt et, à l’entrée de l’avenue du Château de Cristal, il rencontra une vieille femme qui lui demanda :
— « Où vas-tu ainsi, mon enfant ? »
— « Au Château de Cristal, grand-mère, pour voir Yvonne, ma sœur ».
— Eh bien ! Mon enfant, ne va pas par ce chemin-là, mais par celui-ci, jusqu’à ce que tu arrives à une grande plaine ; alors, tu suivras la lisière de cette plaine, jusqu’à ce que tu voies une route dont la terre est noire. Prends cette route-là, et, quoi qu’il arrive marches toujours droit devant toi, tu arriveras au Château de Cristal, et tu verras ta sœur.
— « Merci, grand-mère », répondit Yvon, et il s’engagea dans le chemin que lui montra la vieille.
Yvon arriva à la plaine dont elle lui avait parlé, et la côtoya tout du long, jusqu’à ce qu’il vît la route à la terre noire. Il voulut la prendre, suivant le conseil de la vieille dame, mais, elle était remplie de serpents entrelacés, de sorte qu’il eut peur et hésita un moment. Son cheval lui-même reculait d’horreur quand il voulait le pousser dans ce chemin. Comment faire ? Se dit-il ; on m’a pourtant dit qu’il fallait passer par là !

Yvon enfonça ses éperons dans les flancs de son cheval, et il entra dans la route aux serpents et à la terre noire. Mais, aussitôt, les serpents s’enroulèrent autour des jambes de l’animal, le mordirent, et il tomba mort sur la place. Voilà le pauvre Yvon à pied, au milieu de ces hideux reptiles, qui sifflaient et se dressaient menaçants autour de lui. Mais, il ne perdit pas courage pour cela ; il continua de marcher, et arriva enfin à l’autre extrémité de la route, sans avoir éprouvé aucun mal. Il en fut quitte pour la peur.
Yvon se trouva, alors, au bord d’un grand étang, et il ne voyait aucune barque pour passer de l’autre côté, et il ne savait pas nager, de sorte qu’il était encore fort embarrassé. 
— « Comment faire ? » Se disait-il ; « je ne veux pourtant pas retourner sur mes pas ; j’essayerai de passer, arrive que pourra. »

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Et Yvon entra résolument dans l’eau. Il en eut d’abord jusqu’aux genoux, puis jusqu’aux aisselles, puis jusqu’au menton, et enfin par-dessus la tête. Il continua d’avancer, malgré tout, et finit par arriver, sans mal, de l’autre côté de l’étang.
En sortant de l’eau, Yvon se trouve à l’entrée d’un chemin profond, étroit et sombre et rempli d’épines et de ronces qui allaient d’un bord à l’autre de la route.
— « Je ne pourrai jamais passer par là, se disait-il. »

Yvon ne désespéra pourtant pas. Il se glissa, à quatre pattes, par-dessous les ronces, rampa comme une couleuvre et finit par passer. Dans quel état, hélas ! Son corps était tout déchiré et tout sanglant, et il n’avait plus le moindre lambeau de vêtement sur lui. Mais, il était passé.
Un peu plus loin, Yvon vit venir au grand galop, un cheval maigre et décharné. Le cheval s’arrêta pour l’inviter à monter sur son dos. Yvon reconnut alors son cheval, qu’il avait cru mort. Il lui témoigna beaucoup de joie de le retrouver en vie, et monta sur son dos en lui disant : 
— « Mille bénédictions sur toi, mon pauvre animal, car je suis mort de fatigue. Je n’en peux plus. »

Ils continuèrent leur route, et arrivèrent alors à un endroit où il y avait un grand rocher, placé à plat sur deux autres grands rochers. Le cheval frappa du pied le rocher de dessus, qui bascula aussitôt et laissa voir l’entrée d’un souterrain, et Yvon entendit une voix disait : 
_« Descends de ton cheval, et entre. »
Yvon obéit à la voix, descendit de cheval et entra dans le souterrain. Le souterrain était très noir, et il ne pouvait avancer qu’à tâtons. Au bout de quelques moments, Yvon entendit derrière lui un vacarme épouvantable, comme si une armée de dragons s’avançait sur lui. 
_ «  Je crois que je vais mourir ici, pensa-t-il. 
Yvon continua, pourtant, d’avancer. Il vit enfin devant lui une petite lumière, et cela lui donna du courage. Le vacarme s’approchait de lui. Mais, la lumière aussi grandissait, à mesure qu’il s’avançait vers elle. Enfin, Yvon sortit du souterrain sain et sauf …

Yvon se trouva alors dans un carrefour, et il fut bien embarrassé. Quel chemin prendre ? Yvon suivit celui qui faisait face au souterrain, et continua d’aller tout droit devant lui. Il y avait beaucoup de barrières sur ce chemin, hautes et difficiles à franchir. Ne pouvant les ouvrir, il grimpait sur les poteaux, et passait par-dessus. La route allait, à présent, en descendant, et, tout au bout, tout lui paraissait être de cristal : Yvon voyait un château de cristal, un ciel de cristal, un soleil de cristal, enfin tout ce qu’il voyait était de cristal. 
— « C’est dans un château de cristal qu’on m’a dit que ma sœur demeure, et j’approche, sans doute, de la fin de mon voyage et de mes peines, car voilà bien un château de cristal, » se dit-il avec joie.

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Voilà Yvon près du château qui était si beau et si resplendissant de lumière, que ses yeux en étaient éblouis. Yvon entra dans la cour. Il voit un grand nombre de portes dans le château; mais, elles sont toutes fermées. Il parvint à se glisser dans une cave, par un soupirail, puis, de là, il monta et se trouva dans une grande salle, magnifique et resplendissante de lumière. Six portes donnaient sur cette salle, et elles s’ouvraient d’elles-mêmes dès qu’ Yvon les touchait. De cette première salle, il passa dans une seconde, plus belle encore. Trois autres portes étaient à la suite les unes des autres, donnant sur trois autres salles, toutes plus belles les unes que les autres. Dans la dernière salle, Yvon vit sa sœur endormie sur un beau lit. Il resta quelque temps à la regarder tant il la trouve belle. Sa sœur ne se réveilla pas de toute la journée, et le soir arriva. 

Alors, Yvon entendit des bruit de pas. Puis, il vit entrer un beau jeune homme, qui alla droit au lit sur lequel était couchée Yvonne, et lui donna trois claques. Pourtant, elle ne se réveilla pas. Alors, le beau jeune homme se coucha aussi sur le lit, à côté d’elle. Yvon était bien embêté, ne sachant s’il devait s’en aller ou rester. Il se décida à rester, car il lui semblait que cet homme traitait sa sœur d’une façon bizarre. Puis le jeune mari s’endormit aussi à côté de sa femme. Ce qui étonna le plus Yvon, c’est qu’il n’entendais pas le moindre bruit dans le château, et que personne ne préparait le repas du soir, comme si personne ne mangeait dans le château. Lui-même, qui était arrivé avec un grand appétit, n’a plus faim du tout, à présent. La nuit se passa dans le plus profond silence. Au lever  du jour, le mari d’Yvonne se réveilla et donna encore trois claques à sa femme. Mais, elle ne paraissait pas s’en apercevoir, et ne se réveilla toujours pas. Puis le prince partit.

Tout cela étonnait fort Yvon, toujours silencieux, dans son coin. Il craignait que sa sœur soit morte. Il se décida enfin, pour s’en assurer, à lui donner un baiser. Yvonne s’éveilla alors, ouvrit les yeux et s’écria, en voyant son frère près d’elle :
—«  Oh ! Que je suis contente de te revoir, mon frère chéri ! »
Et ils s’embrassèrent tendrement. Alors Yvon demanda à Yvonne :
— « Et ton mari, où est-il, sœur chérie ? »
— « Il est parti en voyage, frère chéri ».
— « Est-ce qu’il y a longtemps qu’il n’a pas été à la maison ? »
— « Non, vraiment, il n’y a pas longtemps, frère chéri ; il vient de partir, il n’y a qu’un moment ».
— « Tu ne dois pas être heureuse avec lui, ma pauvre sœur ? »
— « Je suis très heureuse avec lui, frère chéri. »
— Je l’ai pourtant vu te donner trois bonnes claques, hier soir, en arrivant, et trois autres, ce matin, avant de partir ».
— « Tu dois te tromper, frère chéri ? Des claques !… C’est des baisers qu’il me donne, le soir et le matin. »
— « De drôles de baisers, ma foi ! Mais, puisque tu ne t’en plains pas, après tout… Mais, dis-moi, on ne mange donc jamais ici ? »
— « Depuis que je suis ici, mon frère chéri, je n’ai jamais éprouvé ni faim, ni soif, ni froid, ni chaud, ni aucun besoin, ni aucune contrariété. Est-ce que tu as faim, toi ? »
— « Non, et c’est ce qui m’étonne. Est-ce qu’il n’y a que toi et ton mari dans ce beau château ? »
— « Oh ! Non. Nous sommes nombreux ici, mon frère chéri. Quand je suis arrivée, j’ai vu tous ceux qui y sont ; mais, depuis, je ne les ai jamais revus, soi-disant parce que je leur avais parlé. Yvon et Yvonne passèrent la journée ensemble, à se promener par le château et à causer de leurs parents, de leur pays et d’autres choses. 

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Le soir, le mari d’Yvonne arriva, à son heure habituelle. Il reconnut son beau-frère, et témoigna de la joie de le revoir.
— « Vous êtes donc venu nous voir, beau-frère ? » Lui dit-il.
— « Oui, beau-frère, et ce n’est pas sans beaucoup de mal ».
— « Je vous crois, car tout le monde ne peut pas venir jusqu’ici ; mais, vous retournerez à la maison plus facilement car je vous ferai éviter les mauvais chemins ».
Yvon resta quelques jours avec sa sœur. Son beau-frère partait tous les matins, sans dire où il allait, et était absent durant tout le jour. Yvon, intrigué, demanda, un jour, à sa sœur :
—«  Où donc va ton mari ainsi, tous les matins ? Et quel est son métier ? »
— « Je ne sais pas, mon frère chéri ; il ne m’en a jamais rien dit. Il est vrai que je ne le lui ai pas demandé ».
— « Eh bien ! Moi, j’ai envie de lui demander de me permettre de l’accompagner, car je suis curieux de savoir où il va ainsi, tous les jours ».
— « Oui, demande-le-lui, mon frère chéri ».

Le lendemain matin, au moment où le mari d’Yvonne s’apprêtait à partir, Yvon lui dit :
— « Beau-frère, j’ai envie de vous accompagner, aujourd’hui, dans votre tournée, pour voir du pays, et prendre l’air »
— « Je le veux bien, beau-frère ; mais, à condition que vous fassiez tout comme je vous dirai ».
—«  Je vous promets de vous obéir. »
—«  Écoutez-moi bien, alors : il faudra, d’abord, ne rien toucher et ne parler qu’à moi seul, quoi que vous voyiez ou entendiez ».
— « Je vous promets de ne toucher à rien et de ne parler qu’à vous seul ».
— « C’est bien ; partons, alors. »

Et ils partirent de compagnie du Château de Cristal. Ils suivirent d’abord un sentier étroit, où ils ne pouvaient pas marcher tous les deux de front. Le mari d’Yvonne marchait devant, et Yvon le suivait de près. Ils arrivèrent ainsi à une grande plaine sablonneuse, aride et brûlée. Et, pourtant, il y avait là des bœufs et des vaches gras et luisants qui ruminaient, tranquillement couchés sur le sable et qui paraissaient heureux. Cela étonna fort Yvon, mais il ne dit pas un mot.
Plus loin, ils arrivèrent à une autre plaine où l’herbe était abondante, haute et grasse, et pourtant il y avait là des vaches et des bœufs maigres et décharnés qui se battaient et beuglaient à faire pitié. Yvon trouva tout cela bien étrange encore, et il demanda à son beau-frère :
— « Que signifie donc ceci, beau-frère ? Jamais je n’ai vu pareille chose : des vaches et des bœufs de bonne mine et luisants de graisse là où il n’y a que du sable et des pierres, tandis que  dans cette belle prairie, où ils sont dans l’herbe jusqu’au ventre, vaches et bœufs sont d’une maigreur à faire pitié, et paraissent près de mourir de faim ».
— « Voici ce que cela signifie, beau-frère. Les vaches et les bœufs gras et luisants, dans la plaine aride et sablonneuse, ce sont les pauvres qui malgré leur sort et leur condition ne convoitent pas le bien d’autrui, et les vaches et les bœufs maigres, dans la prairie où ils ont de l’herbe jusqu’au ventre et qui se battent continuellement et paraissent près de mourir de faim, ce sont ceux qui ne sont jamais satisfaits de ce qu’ils ont et cherchent toujours à amasser du bien, aux dépens des autres, se querellant et se battant constamment.

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Plus loin, ils virent, au bord d’une rivière, deux arbres qui s’entrechoquaient et se battaient avec tant d’acharnement qu’il en jaillissait des fragments d’écorce et des éclats de bois qui volaient au loin. Yvon avait un bâton à la main, et, quand il fut près des deux arbres, il interposa son bâton entre les deux combattants, en leur disant :
—«  Qu’avez-vous donc à vous maltraiter de la sorte ? Cessez de vous faire du mal, et vivez en paix ».
A peine eut-il prononcé ces paroles, qu’il fut étonné de voir les deux arbres se changer en deux hommes, mari et femme, qui lui parlèrent ainsi :
— « Merci de tout cœur, Yvon ! Voici plus de trois cents ans que nous nous battions ainsi, avec acharnement, et personne n’avait pitié de nous, ni ne daignait nous adresser la parole. Nous sommes deux époux qui nous disputions et nous battions constamment, quand nous étions sur la terre, et, pour notre punition, nous étions condamnés à continuer de nous battre encore ici, jusqu’à ce que quelque âme charitable ait pitié de nous, et nous adresse une bonne parole. Vous avez mis fin à notre supplice, en agissant et en parlant comme vous l’avez fait, et nous vous en remerciant.
Et les deux époux disparurent aussitôt.

Alors Yvon entendit un vacarme épouvantable, des cris, des imprécations, des hurlements, des grincements de dents, des bruits de chaînes… C’était à glacer le sang dans les veines.
— « Que signifie ceci ? » demanda-t-il à son beau-frère.
— « Ici, nous sommes à l’entrée de l’enfer ; mais, nous ne pouvons pas aller plus loin ensemble, car vous m’avez désobéi. Je vous avais recommandé de ne toucher et de n’adresser la parole à nul autre que moi, durant notre voyage, et vous avez parlé et touché aux deux arbres qui se battaient, au bord de la rivière. Retournez auprès de votre sœur, et moi, je vais continuer ma route. Je rentrerai à mon heure ordinaire, et alors, je vous mettrai sur le bon chemin pour retourner chez vous. »

Yvon retourna tout seul au Château de Cristal pendant que son beau-frère continuait sa route.
Quand Yvonne le vit revenir :
—« Te voilà déjà de retour, mon frère chéri ? » Lui dit-elle.
— « Oui, ma sœur chérie », répondit-il, tout triste.
— « Et tu reviens seul ? »
— « Oui, je reviens seul. »
—«  Tu as, sans doute, désobéi à mon mari ? »
— « Oui, j’ai parlé et touché à deux arbres qui se battaient au bord d’une rivière, et alors ton mari m’a dit qu’il fallait que je retourne au château ».
— « Et donc, tu ne sais pas où il va ? »
— « Non, je ne sais pas où il va ».
Vers le soir, le mari d’Yvonne rentra, à son heure habituelle, et dit à Yvon :
— « Vous m’avez désobéi, beau-frère ; vous avez parlé et touché, malgré votre promesse de n’en rien faire, et, à présent, il vous faut retourner dans votre pays, pour voir vos parents ; vous reviendrez ici, sans tarder, et ce sera alors pour toujours ».
Yvon fit ses adieux à sa sœur. Son beau-frère le mit alors sur le bon chemin pour retourner dans son pays, et lui dit :
— « Allez, à présent, sans crainte, et au revoir, car vous reviendrez, sans tarder ».

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Yvon chemina par la route où l’a mis son beau-frère, et rien ne vint l’attaquer, durant son voyage. Ce qui l’étonna le plus, c’est qu’il n’avait ni faim, ni soif, ni envie de dormir. A force de marcher, sans jamais s’arrêter, ni de jour ni de nuit, il arriva enfin dans son pays. Il se rendit à l’endroit où se trouvait la maison de son père, et fut bien étonné de n’y trouver qu’une prairie avec des hêtres et des chênes très vieux.
— « C’est pourtant ici que se trouve ma maison  », se disait-il.
Il entra dans une maison, non loin de là, et demande où demeure Iouenn Dagorn, son père.
— « Iouenn Dagorn ?… Il n’y a personne de ce nom par ici », lui répond-on.
Cependant un vieillard, qui était assis au foyer, dit :
— « J’ai entendu mon grand-père parler d’un Iouenn Dagorn ; mais, il y a bien longtemps qu’il est mort, et ses enfants et les enfants de ses enfants sont également tous morts, et il n’y a plus de Dagorn dans le pays ».

Le pauvre Yvon fut on ne peut plus étonné de tout ce qu’il entendait, et, comme il ne connaissait plus personne dans le pays et que personne ne le connaissait, il se dit qu’il n’avait plus rien à y faire, et que le mieux était de suivre ses parents où ils étaient allés. Il se rendit donc au cimetière et vit là leurs tombes qui dataient déjà de trois cents ans.
Alors, il entra dans l’église, mourut sur la place, et alla, sans doute, rejoindre sa sœur, au Château de Cristal.

Armanel, conteur celte, entrelac celtique BOV1

Date de dernière mise à jour : 06/05/2023