Le juif errant et la Misère

Dialogue entre le Juif Errant  et le Bonhomme Misère
qui courent le monde.
Traduction d’une Gwerz (complainte) bretonne.
Traduction ; Armanel _ 2022.


Approchez-vous gens de qualité,
Venez entendre un dialogue récemment composé : 
Un entretien entre les deux hommes du monde les plus âgés 
Qui, par malheur, doivent vivre jusqu’au jugement dernier.

Le premier, Isaac le Marcheur (J.E) est appelé.
L’autre Misère (M), car il la sème partout, ou Pauvreté,
Et cause mille chagrins et mille iniquités.
Sa mort, par l’univers tout entier, est souhaitée.

Près d’Orléans les deux vieillards se sont rencontrés,
Et vu leur âge se sont respectueusement salués.
Isaac se pensait de plus loin le plus âgé ;
Mais plus vieux que lui il a trouvé.

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En le voyant, la Misère s’est exclamée :
(M) Bonjour Isaac le Marcheur, par où avez-vous cheminé ?
Et sur terre quel est donc votre métier ?
Vous m’avez l’air abattu, vous me semblez harassé.

(J.E) À marcher nuit et jour, Dieu m’a condamné,
Marcher jour et nuit, en punition d’un très grand péché.
Oh, que j’aimerais que ma vie, ici bas, soit terminée.
Mais hélas, je ne mourrais que le jour du jugement dernier.

(J.E) Ami, depuis ce jour, de par le monde, j’ai erré.
Quelqu’un d’aussi vieux que vous, jamais je n’ai rencontré.
De tout l’univers, je me croyais le plus âgé,
mais à ma grande surprise vous m’avez surclassé.

(M) Hélas, Hélas, s’écria la Pauvreté,
Vous n’êtes qu’un enfant à moi comparé ;
Mille sept cent ans tel est votre âge déclaré.
J’en ai plus de cinq mille. Qui de nous a l’antériorité ?

(M) Lorsque Adam, notre premier père, par désobéissance, a péché,
C’est alors que je suis né, et dans son exil je l’ai accompagné.
Puis tous ses descendants, par leur conduite, m’ont entraîné
Et le feront jusqu’à ce qu’arrive l’éternité.

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(J.E) Mon père, dit Isaac tout étonné,
Dîtes- moi quel est votre nom et quel est votre métier,
Car grand est mon étonnement quand vous déclarez
Que depuis cinq mille ans, dans le monde, vous errez.

(M) Mon nom est Misère ou Pauvreté.
Mon plus grand plaisir est de tourmenter l’humanité.
Partout où je vais, désordre et douleur je me plais à semer.
Je suis cause de mille malheurs et père de cruauté.

(M) Toi, plus que tout autre au monde, ne peut m’ignorer,
Car je te suis comme ton ombre depuis que tu es né.
Voilà que maintenant tu connais tous mes secrets,
Tu sais les ravages de la misère et de la pauvreté.

(J.E) Ah ! Si c’est par toi que ce pauvre monde est torturé
Pourquoi n’es tu pas mort ? Où plutôt que n’ais-tu jamais existé !
Car je ne connais que trop, moi, pauvre infortuné,
Toute la puissance de tes capacités.

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(J.E) Eh bien, éloigne toi de moi, maintenant que je te connais.
Retire-toi et laisse-moi me reposer.
Quand je pense aux tourments que depuis 1700 ans tu m’as imposés,
Ô, mon cœur de douleur est brisé.

(M) Quand sonneront les trompettes du jugement dernier,
Quand finira ce monde, alors Isaac, je te quitterai.
Mais jusqu’à ce jour, la misère sur toi va tomber
Et de toutes parts tu seras tourmenté.

(J.E) Ah ! Tu es le pire génie qui, dans ce monde, soit né !
De tous, petits et grands, tu es redouté ;
Les marchands eux-mêmes et les plus fortunés
Savent que de toi ils ne seront pas épargnés.

(M) Isaac, tu dis vrai :
Les riches et les nobles ont appris à me redouter.
Jour et nuit qu’ils restent éveillés,
Sinon la misère à leur porte viendra frapper.

(J.E) Je crois que tu as tort de choisir le chaume pour te loger.
Aux portes des riches, vas frapper; Tu y seras mieux traité
Que dans une cabane de pauvreté
Où le pain, souvent, vient à manquer.

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(M) Je compte bien leurs châteaux visiter.
Je veux parmi eux faire une fournée.
Malheur à eux, car leurs seuils une fois passés
De leurs demeures ils ne pourront me chasser.
 
(J.E) Vieillard maudit ! Tes habits sentent trop mauvais
Pour près des riches, avoir accès.
Dès qu’ils te verront, autour de leurs demeures, rôder,
Par leurs laquais, ils te feront chasser.

(M) Calme-toi, mon ami. Apprends que je sais ruser,
Nuit et jour, invisible, je sais m’approcher.
Et il est difficile de me faire sortir une fois entré.
Et les riches orgueilleux connaîtront la pauvreté.

(J.E) Ô vieillard sans pitié,
Plein de trahisons, de malices et de méchancetés,
Toi qui, les humains, ne cesse jamais de tourmenter
Et qui ris de leurs douleurs, quand cesseras-tu d’exister ?

(M) Que ceux-là qui ne veulent pas me voir, chez eux, entrer
Fuient la fainéantise et la prodigalité :
Il y a parfois des hommes de cœur, chez qui je suis entré,
Et qui savent me renvoyer chez d’autres qui s’empressent de me garder.

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(J.E) C’est donc Satan, qui sur la terre, t’a envoyé ?
Vas, retire toi loin de moi, mes yeux ne peuvent plus te regarder.
Vieillard maudit ! Mes peines et mon âge, maintenant, tu les connais.
Ne cessera-tu pas enfin de me persécuter ?

(M) Jeunes et vieux, amis ou ennemis jurés,
Me trouvent à parts égales et sans pitié.
Que ceux qui ont un désir ardent de me tenir éloigné
Que ceux-là, apprennent la valeur du travail bien fait.

Ainsi donc, vous qui m’avez si bien écouté
Tenez-vous sur vos gardes pour éloigner Misère et Pauvreté.
Paris, Marseille et Bordeaux, elle a visité
Fasse le ciel que les bretons en soient à jamais épargnés !


FIN

 


 

Date de dernière mise à jour : 02/11/2022