Le naufrageur de Trémazan
LE NAUFRAGEUR DE TREMAZAN
Le château de Trémazan, dont il ne reste à ce jour qu’un donjon qui attend patiemment d’être un jour restauré, a une place particulière dans l’imaginaire local; ce serait, en effet, là que seraient né Gurguy et Haude deux saint bretons célèbres dans la région pour leurs destins tragiques. Il a aussi pris une place importante dans l’Histoire locale; ce château était la défense Nord de la Vicomté de Coat Méal.
La vicomté consistait en une bande de terre coupant en deux la châtellenie de St-Renan.
Elle allait de l'Aber-Benoit à la mer, devant Portsall, comprenant les paroisses de Coat-Méal, Plouguin, Landunvez, Ploudalmézeau, Plourin, Tréglonou, Porspoder et Guipavas. On peut penser que, fort probablement, c'est l'importance du Castel-Trémazan et du Castel-Uhel qui déterminèrent à créer la châtellenie de Coat-Méal qui prospéra jusqu'à Hervé IV, marié à Catherine de Laval, dernier comte de Léon. en 1572, La vicomté de Coat-Méal, fut érigée en principauté de Léon, et est restée indépendante, jusqu'à la Révolution française.
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A l’époque des faits que je vais vous relater, vivait au château de Trémazan un seigneur qui n'obéissait à aucune loi sinon la sienne. Trémazan est bien situé, à quelques encablures de la mer, et du sommet de son donjon le regard embrassait toute l’étendue maritime qui sépare la Bretagne de l’Angleterre. Si la plage qui fait face au château est large et relativement calme, plus au large, la mer est particulièrement brutale et rendue plus dangereuse encore par la présence de nombreux rochers, causes de bien des naufrages, qu'on appelle Ar C'heleier, roches bien connues des pêcheurs et des plaisanciers pour leurs dangerosité (et qui ont été fatales à l’Amoco Cadiz, en mars 1978).
Il y a deux groupes bien distincts de keleier : keleier Porsal, en face du port de Portsall et keleier Ar C'hantell, au large du port d'Argenton. (A l'époque Ar C'hantell était un port conséquent et bien plus important que celui de Portsall).
Quiconque navigue dans ces eaux doit être prudent n'a pas le droit à l'erreur.
Tout le monde connait la rumeur qui voudrait que sur certaines côtes de Basse-Bretagne, les Arvoriz ne se contentaient pas de récupérer à leur profit le Pensé (les épaves). Ceci n'est pas totalement une légende, car lorsque les conditions de vie sont difficiles, tout est bon à prendre, et récupérer des épaves n’est pas vraiment considéré comme une occupation illicite par la population littorale. Mais on dit aussi qu'il a existé des naufrageurs qui cherchaient à attirer volontairement des navires à leur perte. C'est la réputation qu'avait le seigneur qui vivait à cette époque à Trémazan.
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Il est dit que, par les nuits de forte tempête, ce seigneur faisait placer sur la dune (an Teven) des lanternes allumées. Il le faisait dans le but d'égarer de leurs routes les capitaines qui naviguaient dans ces parages périlleux et cherchaient un port habité par des humains. Leurrés par cette ruse atroce, les capitaines pouvaient être amenés à penser avoir trouvé l'abri qu'ils désiraient.
Dès qu'un bateau s'échouait, ce seigneur, véritable bandit vérifiait tout d'abord qu'il n'y avait pas de survivants au naufrage. Si par malheur, il en découvrait un, ou une, il le (la) tuait purement et simplement. Il n’était pas question de laisser vivants d'éventuels témoins de ses agissements. Après quoi il s’attelait à la tâche, qui n'était pas de tout repos, consistant à s'emparer de tout ce qui provenait du bateau, de sa cargaison, ainsi que des effets, des bijoux et de toutes les valeurs de ceux qui naviguaient dessus. Ce seigneur, dont je tairais le nom, avait un fils qui se prénommait Guillaume et qui était, au moins, aussi cruel que son père. Evidemment il prêtait main-forte à son père et y prenait un certain plaisir, voire un plaisir certain et avait appris l'horrible métier avec délectation.
Mais c'était en plus un coureur de jupons frénétique et sans scrupules. Il était noble de naissance et considérait qu’il était au dessus de tout être humain qui résidait sur ses terres et s'autorisait tout au détriment des vassaux de son père et notamment auprès des femmes qu'il trouvait sur son chemin, ou qu'il allait chercher chez elles. Pour ce voyou, aucune entrave n'existait à l'utilisation des femmes pour assouvir ses pulsions les plus immédiates. Celles qui résistaient étaient violées, sans autre forme de procès.
C'est le sort qu'avait subi récemment une jeune fille des environs, fille d'un marin du pays, qui était la plus belle et la plus douce de sa génération, la plus dévote aussi. Elle ne supporta pas que Guillaume ait attenté à sa vertu. Le cœur brisé, poussée par la honte et le chagrin, elle mit fin à ses tourments peu après. Dès qu'elle fut enterrée (hors du cimetière), un lys blanc poussa au-dessus de la motte de terre qui servait de tombe.
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Je vous ai dit que Guillaume se targuait d’être noble et la première fonction de la noblesse était de combattre. A l'époque ceux qu'on appelle en breton Ar Saoxon. "Les Anglais'', étaient considérés comme l'ennemi héréditaire et ils ne se privaient pas de lancer des raids sur les côtes armoricaines, et ce, pendant des siècles. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Castel-Trémazan avait été construit.
Un jour, Guillaume de Trémazan dut partir remplir son rôle de guerrier sur mer en tant que capitaine d'un navire armé par son père. Il partait pour quelques jours, puis revenait faire le plein de vivres près de son père à Trémazan. Et cela a duré plusieurs mois. Mais, sa dernière mission dura plus longtemps que d’ordinaire. Au bout d'un certain temps, n'ayant aucune nouvelle de son fils, le seigneur fut envahi par une inquiétude bien légitime: Il n'avait pas le cœur dur à l'égard de tout le monde. De plus en plus souvent, il allait sur la dune, ou guettait du plus haut point de son château, dans l'espoir d'apercevoir la voile du navire commandé par son fils. Un soir, enfin, lui parvint la nouvelle qu'il attendait : on avait aperçu le navire. Le temps était clément et la mer était maniable. Pour un capitaine familier des environs il était enfantin de regagner l'abri en se faufilant dans les Keleier en prenant son temps et en redoublant d'attention jusqu’au port.
La joie du père ne dura guère. Alors que le navire rentrait dans le labyrinthe des roches, le temps changea du tout au tout. Un vent très fort se leva ct amena d'épais nuages noirs. En quelques minutes, une tempête se déchaîna. On se mit à craindre pour ceux qui, étant donné leur position, ne pouvaient plus faire autre chose que de garder leur objectif premier: regagner le port, mais au milieu de dangers autrement plus sérieux désormais.
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La tempête ne cessa de forcir, le père devint fou d'inquiétude. Ses yeux ne quittaient plus l'endroit où il s'efforçait de distinguer le navire. La voilure ayant été « amenée », les vagues et la nuit cachaient de plus en plus le navire au regard du père. Soudain, le seigneur aperçut sur la dune une lanterne qui s'agitait. Ayant utilisé ce procédé des dizaines de fois, il en connaissait les conséquences possibles. Fou d’inquiétude pour son fils il donna ordre à tous les hommes rapides à la course d'aller éteindre cette lanterne traîtresse qui, là ou elle était, n'indiquait pas la passe pour Portsall, et de s'emparer du coupable.
Peu après, les plus rapides d'entre eux revinrent épouvantés et la lumière était toujours là, narguant le seigneur. Ses hommes lui dirent qu’ils s'étaient approchés de la lumière et qu’ils avaient vu que l'animal qui portait la lanterne entre ses cornes était un énorme taureau noir que personne ne connaissait et qui, à l’évidence, n'était pas de ce monde, et qu'il était mené par un fantôme vêtu de blanc, dans lequel ils avaient reconnu la jeune fille au lys blanc dont tous, au pays, parlaient depuis des mois.
Alors le seigneur lui-même dégaina son épée ct se rua vers la lanterne. A son approche, celle-ci disparut. A cet instant, le corps de son propre fils, mort noyé, fut roulé entre ses jambes par la vague qui avait amené les premiers débris du navire.
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