Le sorcier aux trois ceintures
LE SORCIER AUX TROIS CEINTURES
Séglien (Morbihan )
Le fils du Roi était en âge de se marier.
— Il est temps que tu prennes femme, lui dit son père. Va, monte à la tour qui est à l'autre bout du château. Tu te trouveras devant une porte à la serrure d'or qui donne sur la salle d'honneur. Il y a autant de fenêtres que de jours dans l'année, et, auprès de chacune, une jeune fille qui cherche époux. Tu choisiras dans le nombre. Voici la clef de la salle.
Le prince escalada vivement l'escalier et se vit en présence d'une assemblée de demoiselles de haut lignage, merveilleusement parées, et d'une beauté telle qu'il n'en avait jamais pu imaginer de semblable. Il les salua l'une après l'autre, avec courtoisie, s'arrêtant longuement à considérer leur visage, mais pour l'une aussi bien que pour l'autre, la réponse était semblable :
—Pas celle-ci.
Il allait se retirer, quand il aperçut, dissimulée dans un coin, une jeune fille dont les traits cachés sous un voile épais échappaient aux regards. Il souleva le voile, et un cri d'admiration sortit de ses lèvres.
—Voilà, dit-il, la Reine de beauté ; je veux qu'elle soit ma femme.
La jeune fille n'avait pas montré le moindre enthousiasme. Elle tremblait.
—Malheureux, murmura-t-elle, sachez que vous risquez la mort. Je ne m'appartiens pas, hélas! Celui qui prétendra m'avoir devra d'abord m'enlever à un enchanteur habile et cruel, dont les maléfices changent en pierre quiconque ne sort pas vainqueur des épreuves auxquelles il le soumet. Ces épreuves sont au nombre de trois. Jusqu'à ce jour, nul n'a pu les surmonter, et nul sans doute ne les surmontera jamais.
—Là où les autres échouent,s'écria fièrement le prince, un fils de Roi triomphe. J'accepte le duel avec ce monstre, et l'événement prouvera lequel de nous mettra l'autre à bout. En attendant, je maintiens mon choix.
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Les objurgations du Roi et des autres personnages de la Cour, les larmes de la Reine, n'eurent aucun effet sur lui. Sa décision était irrévocable. Il tuerait le sorcier ou le sorcier le tuerait. Il se dirigea vers le château, où celui-ci se livrait à ses abominations. C'était à l'extrémité d'une immense forêt. Il y avait plusieurs jours qu'il cheminait par les sentiers de cette forêt lorsqu'il perdit sa direction. Impossible de deviner de quel côté était le maudit repaire. Une rencontre inattendue le sauva. Au pied d'un arbre,un homme,un colosse, prenait le frais, en s'étirant bras et jambes.
—Peut-être, lui dit-il, es-tu mieux renseigné que moi. Je suis égaré dans ce bois. Connais-tu le chemin pour en sortir? L'homme ne répondit pas, mais il se dressa, et voilà qu'il se transforma singulièrement. Son corps se détendit comme un ressort à boudin, et s'allongea tellement qu'il eut bientôt dépassé de la tête la cime des arbres les plus élevés. On entendit sa voix de là-haut :
—La lisière de la forêt est à quelques jets de pierre sur la droite.
Le prince était stupéfait. Jamais il n'avait rencontré pareil phénomène.
—Te plairait-il d'être mon compagnon? lui demanda-t-il.
—Avec plaisir,répliqua le colosse.Je cherche aventures.
—Quel est ton nom?
—Hir (long).
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Ils avaient à peine parcouru quelques pas qu'un ronflement sonore qui ressemblait au tonnerre de Dieu les fit s'arrêter. Il y avait,allongé sur le gazon, un personnage dont le ventre avait la rondeur d'un gros fût et qui se livrait aux douceurs de la sieste.
—Que fais-tu là? interrogea le prince.
—J'attends un maître qui consente à m'embaucher pour des travaux difficiles.
—De quoi es-tu capable? Et comment t'appelles-tu?
—Je m'appelle Lédan (large), et pour ce dont je suis capable, jugez.
L'homme renifla l'air, et l'air se précipita dans son ventre avec un gloussement formidable qui donnait l'idée d'une cascade. Son ventre était devenu une outre gigantesque qui ne s'arrêta de gonfler que parce que les arbres l'en empêchaient. Il fallait qu'il s'arrêtât et qu'il se dégonflât lentement pour ne pas déchaîner une tempête qui aurait dévasté la forêt.
—Sois des nôtres, dit le prince.
—Volontiers, répliqua l'autre.
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Parvenu à la limite du bois, un troisième personnage attira leur attention .Il avait à peine entendu le bruit de leurs pas qu'il se banda les yeux.
—Que signifie ce manège? observa le prince. Aurais-tu peur de nous, ou voudrais-tu nous cacher tes yeux?
—La vérité sort de la bouche des hommes sans qu'ils s'en doutent. Si mes yeux se fixent sur une personne ou un objet quelconque, tout éclate en morceaux.
Et ôtant son bandeau, il fixa un énorme rocher qui sauta en l'air, comme si la foudre était tombée dessus.
—Tu es un gaillard précieux, s'écria le prince ; quel nom portes-tu?
—Lagad Spiz (clair voyant).
—Ça te va-t-il de courir aventures avec nous?
—Enchanté, je ne cherche que cela.
Et Lagad Spiz les suivit, après avoir de nouveau caché ses deux yeux.
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Ils étaient maintenant devant le repaire du sorcier, un château de mine maussade dont les murailles touchaient presque jusqu'aux nuages. Une porte massive, bardée de fer, y donnait accès. Ils y frappèrent à coups redoublés sans que personne leur ouvrît.
—Ôte ton bandeau, Lagad Spiz! ordonna le prince.
Lagad Spiz ôta son bandeau, et l'huis disloqué tomba par terre, laissant l'entrée libre. Ils pénétrèrent dans les appartements sans rencontrer âme qui vive.Pas un murmure de voix, aucun bruit de pas : on se serait cru dans une nécropole. Dans la salle à manger, cependant, la table était dressée, magnifiquement servie. On aurait dit qu'ils étaient attendus. Ils se servirent copieusement, sans oublier les vins fins, puis sortirent se promener dans les communs, en faisant le tour du propriétaire. Enfin, ils rencontrèrent le sorcier et le prince lui exposa franchement l'objet de sa venue.
—Je m'en doutais, répliqua le vilain personnage, et j'aurais pu me douter également de votre qualité. Sachez pourtant une chose, jeune homme: les fils de Roi qui prétendent épouser cette jeune fille ont à subir de rudes épreuves, tout comme les autres. Je vous en préviens d'avance. Si vous y succombez, tant pis !
Le soir même, on conduisit les quatre compagnons dans la chambre où logeait la jeune princesse, avec mission de veille rsur son repos. S'ils pouvaient la garder jusqu'au lendemain, ils auraient le droit de l'emmener. Longtemps ils résistèrent au sommeil, mais leur fatigue était grande. A la fin, ils succombèrent et s'endormirent profondément. Quand ils se réveillèrent avec le jour, la captive avait disparu. Or, il fallait la retrouver avant midi. On juge du désespoir du prince.
—A l'œuvre, mon ami Lagad Spiz, ordonna-t-il ; cherche-la.
Les yeux de celui-ci pénétrèrent les recoins les plus sombres du château sans rien découvrir.
—Cherche hors du château, par la plaine e tla montagne, par les forêts et l'océan, jusque chez le diable,si c'est nécessaire.
Le regard de Lagad Spiz se promena autour de l'horizon, et il poussa un cri :
—Je la vois; elle se cache dans un gland de chêne à cent lieues d'ici, au fond d'un bois.
—A mon tour, dit Hir, vivement sur mon dos, Lagad Spiz ; et en route !
Et il allongea tellement ses jambes, que les lieues ne leur comptaient plus. Bientôt, le gland était cueilli, la jeune fille délivrée, et ils rentrèrent ensemble au château.
Lorsque, sur le coup de midi, le sorcier revint, les quatre compagnons, la jeune fille au milieu d'eux, le reçurent.Il eut une exclamation de rage, et l'une des trois ceintures de fer qui lui entouraient les reins se brisa avec fracas.
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La nuit suivante, la consigne était la même. Il fallait veiller sur le sommeil de la jeune fille. Semblable aventure advint aux gardiens. Ils s'endormirent. Quand ils ouvrirent les yeux le lendemain, il n'y avait plus personne... Où était la captive?
—A toi de nous le dire encore,Lagad Spiz,fit leprince.
Et Lagad Spiz laissa aller son regard clairvoyant sur des distances incommensurables ; et à cinq cents lieues de là, il la remarqua dans un grain qui se balançait au bout d'un épi, dans un champ de blé. Hir offrit de nouveau ses services. Il marchait à si longues enjambées, Lagad Spiz sur ses épaules et le guidant, qu'il ne se doutait pas qu'il franchissait fleuves et montagnes. Une heure après, il atteignit le champ de blé. Le retour fut aussi rapide. Il y avait un bon moment qu'ils étaient au château quand, à midi, le sorcier en franchit le seuil. Celui-ci eut un accès de colère épouvantable, et voilà que sa seconde ceinture éclata en morceaux.
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La troisième nuit, la tâche imposée aux quatre compagnons n'avait pas changé. Ils n'avaient qu'à garder la prisonnière. Comme précédemment, leurs forces les trahirent, et ils se laissèrent aller au sommeil. A leur réveil, la chambre était vide.
—Il n'est pas possible, déclara le prince, que nous succombions à l'épreuve finale, et que le monstre ait raison de nous. Encore à toi, Lagad Spiz.
Les yeux de celui-ci fouillèrent partout, depuis la cime des monts jusqu'aux profondeurs de la terre, mais il ne découvrait rien. On eût juré que le diable était en travers de son jeu. Il était onze heures quand,enfin, il aperçut la jeune fille dans un anneau au fond d'un lac, à mille lieues delà. A moins d'un miracle, on ne pouvait être de retour avant midi. Hir accomplit le miracle. Lagad Spiz et Lédan en croupe, il partit avec la rapidité de la flèche, et en quelques instants, ils étaient aux bords du lac.
—A toi de travailler maintenant, Lédan, dit-il.
Et Lédan aspira l'eau à pleines gorgées. On aurait ouvert dans le lac un large canal qu'il n'aurait pas été à sec plus tôt. L'anneau était là, la captive au milieu. Seulement,il n'y avait plus une minute à perdre. Tandis que Lédan restait se dégonfler sur le sol, les autres retournaient au château. Midi sonnait au moment où ils y pénétraient. Le sorcier franchissait aussi le seuil.
—Nous sommes perdus, murmura Hir.
—Non, répliqua Lagad Spiz, pas encore. Ceci arrivera avant lui. Et par une fenêtre ouverte, il lança l'anneau à l'intérieur. Ce fut le premier objet que le vilain sire aperçut en entrant ; il aperçut en même temps sa prisonnière qui semblait l'attendre.
—Je suis donc vaincu par ce petit prince !s'exclama-t-il douloureusement.
Et sa troisième ceinture tomba à ses pieds, et voilà que lui aussi, à l'exemple de ses victimes, se trouva changé en statue de pierre.
Le prince revint alors chez le Roi son père avec sa fiancée et ses trois compagnons. Il yeut des noces splendides auxquelles assistèrent ceux-ci et aussi le conteur. Celui-ci reçut ensuite une miche de pain blanc avec du beurre, et s'en retourna bien vite au village, pour apprendre cette histoire à ses amis.
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Date de dernière mise à jour : 29/05/2022