Le testament du recteur
Le testament du recteur légende Baden « ANKOU »
Il y avait autrefois au bourg de Baden un vieux recteur, qui vivait trop longtemps, au goût de ses héritiers : trois cousins à la mode de Bretagne :
_ Kenan, le plus âgé et le plus avare des trois, venait deux fois par an de Pont-Scorff, à Baden pour juger par lui-même de l’état de santé du recteur. Vous pensez bien que le vieux recteur ne voyait pas avec plaisir son cousin cupide fouiller dans tous les coins du presbytère et faire d’avance l’inventaire de son pauvre mobilier.
_ Kylian, le second cousin, ne valait guère mieux.
_ si bien que le vieux recteur, trompé par quelques marques d’amitié que lui témoignait Herwan, le plus jeune de ses héritiers, résolut de donner tout son bien à celui-ci, qui demeurait à l’Armor-Baden.
Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com)
Le recteur fit donc son testament ainsi ; il cédait son troupeau de vaches à Herwan, à condition d’employer la moitié de son petit héritage à faire dire des messes pour le repos de son âme et à faire l’aumône pour le soulagement des pauvres de la paroisse avec l’autre moitié. Herwan promit de respecter ses volontés, et le vieux prêtre mourut peu de temps après.
Kenan et Kylian arrivèrent très vite au presbytère pour le partage des biens du vieux recteur; mais Herwan, armé du testament qui était en bonne forme, ne se gêna pas pour les mettre à la porte. Il y eut une belle bagarre entre les trois coquins ; Herwan y perdit même un œil, mais il garda tout le bien du recteur, et pour compenser l’œil qu’il avait perdu, il décida de supprimer les messes qu’il avait promises et les aumônes qu’il devait faire aux pauvres.
Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com)
Un soir que Yüna, (la fille d’ Herwan), ramenait au village les vaches qu’elle avait gardées toute la journée sur les landes de Lok-mikel, elle vit un prêtre se lever derrière un grand menhir, se placer entre elle et son troupeau et lui faire rebrousser chemin. Alors cet étrange berger, dont la longue soutane noire flottait au vent, conduisit les bêtes à la mer où elles se mirent à nager, tandis que lui marchait sur les vagues à leur suite.
Yüna revint seule et toute effrayée à la maison. Elle raconta en tremblant son aventure à son père qui, furieux, sortit de chez lui, et courut, toute la nuit, sur les landes où il ne put jamais retrouver ni bœufs ni vaches. Le lendemain matin Herwan « le borgne » apprit qu’il y avait un troupeau dont on ne connaissait pas le propriétaire sur l’île de Gavrinis. Il se rendit aussitôt sur les lieux, et après avoir rassemblé son troupeau (car c’était effectivement le sien, c’est-à-dire celui qu’il tenait du défunt recteur), il l’embarqua dans une grande chaloupe et le ramena sain et sauf à l’Armor-Baden. Là, il enferma les animaux dans l’étable, en se promettant de ne pas les perdre de vue, de toute l’année.
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Peine perdue, car le lendemain matin l’étable était vide... Le troupeau avait disparu, et un pêcheur dit à Herwan qu’il avait vu la veille, au soleil couchant, passer le long de la grève une file de vaches conduites par un berger habillé tout en noir.
Herwan Le borgne but une chopine de Lambig, puis pensant que ses bêtes étaient encore sur l’île de Gavrinis, voulut s’y rendre bien que le temps fût mauvais et la mer démontée. Comme il approchait du rivage, des marins lui dirent que les vagues rejetaient à la côte les corps de plusieurs animaux. Herwan descendit vers le bord de mer et reconnut avec rage et terreur ses vaches, toutes noyées. Il aurait dû alors se souvenir du testament du recteur de Baden et de ce qu’il avait promis ; mais il n’en fut rien. Il se dit, bien au contraire, qu’avec l’argent des messes et le montant des aumônes il pourrait acheter quatre bœufs et autant de vaches laitières à la foire de Vannes. En attendant il mit ses écus dans un vieux pot de terre, et par une nuit bien sombre il enterra son trésor dans le verger au pied d’un pommier. Mais le mauvais chrétien n’eut pas le temps de réaliser les rêves de son avarice, car il mourut tout d’un coup à quelques jours de là dans un accès de colère et d’ivresse.
Il y a des marins du golfe du Morbihan qui assurent que l’on voit quelquefois, entre l’Île-aux-Moines et Lokmariaker, un berger en soutane noire conduisant un troupeau de vaches sur la mer. C’est, disent-ils, le vieux recteur de Baden, dont l’âme est en peine faute de messes et de prières.
D’autres encore, disent avoir vu, la nuit dans le verger d’ Herwan à l’Armor, un trépassé creusant la terre pour rechercher le trésor caché.