Les facéties de Bilz 6
LES EXPLOITS DE BILZ 6
6 _ Le noyé du Lac
Le lendemain matin, on délibéra sur le genre de mort que l’on choisirait, pour en finir avec le pauvre Bilz. Le seigneur voulait le faire pendre à un des chênes de son avenue, et l’y laisser manger aux corbeaux, comme il le lui avait souvent promis. Mais, la dame dit qu’elle aimait à se promener avec sa fille dans cette avenue et que, comme le drôle sentirait mauvais, quand il pourrirait, elle serait forcée de renoncer à sa promenade ordinaire, ce qui lui serait fort désagréable. On convint donc qu’il serait jeté en sac dans l’étang du château, pour y être noyé.
Le pauvre Bilz, dans son sac, fut donc chargé de nouveau sur un cheval, et l’on se dirigeait avec lui vers l’étang, qui se trouvait à quelque distance, le seigneur, sa femme et leur fille suivant et se promettant beaucoup de plaisir, lorsque midi sonna. C’était l’heure du dîner, au château.
— Voilà midi, l’heure du dîner ! dit le seigneur. Retournons dîner, au château, nous aurons ensuite plus de plaisir à voir noyer Bilz.
— Vous avez raison, dit la dame, allons dîner, d’abord.
Et Bilz fut descendu de dessus le cheval et déposé, toujours dans son sac, contre un talus, au bord du grand chemin. Puis, nos gens allèrent dîner.
Cependant, le pauvre Bilz se livrait à de tristes réflexions, dans son sac. Hélas ! Toutes ses finesses se trouvaient en défaut, pour le moment. Il se réjouissait néanmoins d’être laissé seul, et ne désespérait pas de se tirer encore de là.
Bientôt il entendit du bruit, sur la route. C’était un marchand, conduisant plusieurs chevaux chargés de marchandises. Une idée lumineuse lui vint. Il se mit à crier de toutes ses forces :
— Non, je ne la prendrai pas ! Non, je ne la prendrai pas !...
Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com
Le marchand, arrivé près du sac, s’arrêta, étonné de ce qu’il voyait et entendait, et il demanda :
— Que signifie ceci ? Qui êtes-vous ? Que faites-vous là, dans ce sac, et qu’est-ce que vous ne voulez pas prendre ?
— Ah ! Mon brave homme, vous voyez ici quelqu’un de bien malheureux. Je me nomme Bilz, et l’on m’a mis dans ce sac et je dois être jeté à l’eau, pour être noyé, parce que je ne veux pas épouser la fille du seigneur du château voisin, qui est pourtant bien jolie et bien riche ; mais, elle a déjà eu un enfant ; et puis, j’aime une autre jeune fille du pays.
— Ah ! Vraiment, elle est jolie et riche, dites-vous ?
— Oh ! Mais jolie comme un ange du ciel, et riche, si riche, qu’il n’y a pas une héritière à dix lieues à la ronde qui en approche. Son père a dans ses caves trois barriques d’argent ; je les ai vues.
— Ah ! Vraiment ?... Eh ! bien, mais, je la prendrais bien volontiers, moi.
— Rien n’est plus facile : mettez-vous dans le sac, à ma place, et quand on viendra tout à l’heure pour vous noyer, criez bien fort : — Je la prendrai ! Je la prendrai ! — et tout s’arrangera pour le mieux.
— C’est entendu, répondit le marchand, et je vous laisse même mes chevaux avec leur charge.
Alors, le marchand crédule dénoua le sac, et Bilz en sortit lestement et lui céda la place. Il noua les cordons sur lui, lui souhaita beaucoup de chance et de bonheur avec sa femme, puis, il prit la route de Lannilis, en faisant claquer son fouet et chassant devant lui les chevaux du marchand, maintenant les siens. Tôt après, le seigneur de Ker-Ascoët,, sa femme, sa fille et tous les gens du château revinrent, pour assister à la noyade de Bilz, et se promettant beaucoup de plaisir. Le marchand, en les entendant venir, se mit à crier :
— Je veux bien la prendre !... Je veux bien la prendre !...
— Qu’est-ce qu’il dit ? Prendre quoi ? lui demanda le seigneur.
— Votre fille, monseigneur.
— Comment, manant ? s’écria le seigneur, furieux ; tu oses encore m’insulter à ce point, dans la situation où te voilà ! Je t’aurais pardonné, peut-être, car j’ai bon cœur ; mais, à présent, ton affaire est claire.
Et se tournant vers ses gens :
— Allons, qu’on le jette immédiatement à l’eau.
Le marchand, alarmé de la tournure que prenait l’affaire, criait dans son sac :
— Il y a erreur ! J’ai été trompé et je ne suis pas celui que vous croyez. De grâce, ouvrez le sac, et vous le verrez bien.
Mais, on ne l’écoula pas ; on le jeta à l’eau, et, comme il coula tout de suite au fond, la dame dit :
— Je croyais que c’aurait été plus amusant que cela ; il a été noyé trop vite.
Nos gens retournèrent alors au château, croyant bien être délivrés à tout jamais de Bilz. Mais, ils n’en avaient pas fini encore avec lui, comme vous allez le voir.
Date de dernière mise à jour : 28/12/2020