Les Morgans d'Ouessant

Les gens qui habitent Ouessant s'appellent les oOuessantins et les Ouessantines.
Mais ça ce sont les humains qui habitent sur l'île.

Autour de l'île, sous la mer, vit un autre peuple ce sont les "Morgans " ( un Morgan, des Morganed - une Morganez, des Morganezed).
Ce ne sont pas que des sirènes féminines. C'est en fait tout un peuple d'hommes, de femmes, d'enfants et tout ce petit monde est très gentil. Mais les humains, éternellement insatiables, ont abusé de leur gentillesse et de leur bonté, et les "Morgans" ont choisi de ne plus se montrer.

Les Morgans avaient quelques particularités:
1 - Ils possédaient des pouvoirs magiques.
2 - Ils étaient très riches ( car ils étaient les mieux placés pour vider les richesses des bateaux qui sombraient tout autour de l'île.
3 - Ils étaient très beaux.
4 - Ils vivaient très très vieux.

 

IL y avait autrefois une femme à ouessant  Soizic Keribily qui était mariée à Fanch un homme très laid. Un jour elle mit au monde une fille, le plus beau bébé jamais vu sur l'île. Les femmes de l'île vinrent féliciter la nouvelle maman, mais elle étaient toiutes jalouses quand elles voyaient la beauté de ce bébé et disaient à sa mère :armanel, conteur breton à Saint Matthieu 2015

— Vous avez là un bien beau bébé, SoizicJeanne ! Elle est jolie comme une Morganès, et jamais on n’a vu sa pareille, dans l’île ; c’est à faire croire qu’elle a pour père un Morgan.

— Ne dites pas cela, répondait la bonne femme, car Dieu sait que son père est bien Fanch Kerbili, mon mari, tout comme je suis sa mère.

Mais cela ne suffisait pas à apaiser la jalousie des autres femmes, à tel point que Soizic les supllia de se taire:
_ " Arrêtez avec vos commérages, sinon M Le recteur ne voudra pas la baptiser!"

Le père de Mona était pêcheur et passait presque tout son temps en mer ; sa mère cultivait un petit coin de terre qu’elle possédait contre son habitation, ou filait du lin, quand le temps était mauvais. Mona allait avec les jeunes filles de son âge, à la grève, chercher des brinic (coquilles de patèle), des moules, des palourdes, des bigorneaux et autres coquillages, qui étaient la nourriture ordinaire de la famille. Il faut croire que les Morgans, qui étaient alors très nombreux dans l’ile, l’avaient remarquée et furent, eux aussi, frappés de sa beauté.

Un jour qu’elle était, comme d’habitude, à la grève, avec ses compagnes, elles parlaient de leurs amoureux ; chacune vantait l’adresse du sien à prendre le poisson et à gouverner et diriger sa barque, parmi les nombreux écueils dont l’île est entourée.

— Tu as tort, Mona, dit Marc’harit ar Fur à la fille de Fanch Kerbili, de rebuter, comme tu le fais, Ervoan Kerdudal ; c’est un beau gars, il ne boit pas, ne se querelle jamais avec ses camarades, et nul mieux que lui ne sait diriger sa barque dans les passes difficiles de la Vieille-Jument et de la pointe du Stiff.

— Moi, répondit Mona avec dédain, — car à force de s’entendre dire qu’elle était jolie, elle était devenue vaniteuse et fière, — je ne prendrai jamais un pêcheur pour mari. Je suis aussi jolie qu’une Morganès, et je ne me marierai qu’avec un prince, ou pour le moins le fils d’un grand seigneur, riche et puissant, ou encore avec un Morgan.

Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com/ )

Il paraît qu’un vieux Morgan, qui se cachait par là, derrière un rocher ou sous les goémons, l’entendit, et, se jetant sur elle, il l’emporta au fond de l’eau. Ses compagnes coururent raconter l’aventure à sa mère. Jeanne Kerbili était à filer, sur le pas de sa porte ; elle jeta sa quenouille et son fuseau et courut au rivage. Elle appela sa fille à haute voix et entra même dans l’eau, aussi loin qu’elle put aller, à l’endroit où Mona avait disparu. Mais, ce fut en vain, et aucune voix ne répondit à ses larmes et à ses cris de désespoir.

Le bruit de la disparition de Mona se répandit promptement dans l’île, et nul n’en fut bien surpris. « Mona, disait-on, était la fille d’un Morgan, et c’est son père qui l’aura enlevée. »

Son ravisseur était le roi des Morgans de ces parages, et il avait emmené la jeune ouessantine dans son palais, qui était une merveille dont n’approchait rien de ce qu’il y a de plus beau sur la terre, en fait d’habitations royales.

Le vieux Morgan avait un fils, le plus beau des enfants des Morgans, et il devint amoureux de Mona et demanda à son père de la lui laisser épouser. Mais le roi, qui, lui aussi, avait les mêmes intentions à l’égard de la jeune fille, répondit qu’il ne consentirait jamais à lui laisser prendre pour femme une fille des hommes de la terre. Il ne manquait pas de belles Morganezed dans son royaume, qui seraient heureuses de l’avoir pour époux, et il ne lui refuserait pas son consentement, quand il aurait fait son choix.

Voilà le jeune Morgan au désespoir. Il répondit à son père qu’il ne se marierait jamais, s’il ne lui était pas permis d’épouser celle qu’il aimait, Mona, la fille de la terre.

Le vieux Morgan, le voyant dépérir de tristesse et de chagrin, le força de se marier à une Morganès, fille d’un des grands de sa cour et qui était renommée pour sa beauté. Le jour des noces fut fixé, et l’on invita beaucoup de monde. Les fiancés se mirent en route pour l’église, suivis d’un magnifique et nombreux cortège ; car il paraît que ces hommes de mer ont aussi leur religion et leurs églises, sous l’eau, tout comme nous autres, sur la terre, bien qu’ils ne soient pas chrétiens ; ils ont même des évêques, assure-t-on, et Goulven Penduff, un vieux marin de notre île, qui a navigué sur toutes les mers du monde, m’a affirmé en avoir vu plus d’un.

La pauvre Mona reçut ordre du vieux Morgan de rester à la maison, pour préparer le repas de noces. Mais, on ne lui donna pas ce qu’il fallait pour cela, rien absolument que des pots et des marmites vides, qui étaient de grandes coquilles marines, et on lui dit encore que si tout n’était pas prêt et si elle ne servait pas un excellent repas, quand la noce reviendrait de l’église, elle serait mise à mort aussitôt. Jugez de son embarras et de sa douleur, la pauvre fille ! Le fiancé lui-même n’était ni moins embarrassé ni moins désolé.

Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com/ )

Comme le cortège était en marche vers l’église, il s’écria soudain :

— J’ai oublié l’anneau de ma fiancée !

— Dites où il est, et je le ferai prendre, lui dit son père.

— Non, non, j’y vais moi-même, car nul autre que moi ne saurait le retrouver, là où je l’ai mis. J’y cours et je reviens dans un instant.

Et il partit, sans permettre à personne de l’accompagner. Il se rendit tout droit à la cuisine, où la pauvre Mona pleurait et se désespérait.

— Consolez-vous, lui dit-il, votre repas sera prêt et cuit à point ; ayez seulement confiance en moi.

Et s’approchant du foyer, il dit : « Bon feu au foyer ! » Et le feu s’alluma et flamba aussitôt.

Puis, touchant successivement de la main les marmites, les casseroles, les broches et les plats, il disait : « De la chair de saumon dans cette marmite, de la sole aux huîtres dans cette autre, du canard à la broche, par ici, des maquereaux frits, par là, et des vins et liqueurs choisis et des meilleurs, dans ces pots... » Et les marmites, les casseroles, les plats et les pots s’emplissaient par enchantement de mets et de liqueurs, dès qu’il les touchait seulement de la main. Mona n’en revenait pas de son étonnement de voir le repas prêt, en un clin-d’œil, et sans qu’elle y eût mis la main.

Le jeune Morgan rejoignit alors, en toute hâte, le cortège, et l’on se rendit à l’église. La cérémonie fut célébrée par un évêque de mer. Puis on revint au palais. Le vieux Morgan se rendit directement à la cuisine, et s’adressant à Mona :

— Nous voici de retour ; tout est-il prêt ?

— Tout est prêt, répondit Mona, tranquillement.

Etonné de cette réponse, il découvrit les marmites et les casseroles, examina les plats et les pots et dit, d’un air mécontent :

— Vous avez été aidée ; mais, je ne vous tiens pas pour quitte.

On se mit à table ; on mangea et on but abondamment, puis les chants et les danses continuèrent, toute la nuit.

Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com/ )

Vers minuit, les nouveaux mariés se retirèrent dans leur chambre nuptiale, magnifiquement ornée, et le vieux Morgan dit à Mona de les y accompagner et d’y rester, tenant à la main un cierge allumé. Quand le cierge serait consumé jusqu’à sa main, elle devait être mise à mort.

La pauvre Mona dut obéir. Le vieux Morgan se tenait dans une chambre contiguë, et, de temps en temps, il demandait :

— Le cierge est-il consumé jusqu’à votre main ?

— Pas encore, répondait Mona.

Il répéta la question plusieurs fois. Enfin, lorsque le cierge fut presque entièrement consumé, le nouveau marié dit à sa jeune épouse :

— Prenez, pour un moment, le cierge des mains de Mona, et tenez-le, pendant qu’elle nous allumera du feu.

La jeune Morganès, qui ignorait les intentions de son beau-père, prit le cierge.

Le vieux Morgan répéta au même moment sa question :

— Le cierge est-il consumé jusqu’à votre main ?

— Répondez oui, dit le jeune Morgan.

— Oui, dit la Morganès.

Et aussitôt le vieux Morgan entra dans la chambre, se jeta sur celle qui tenait le cierge, sans la regarder, et lui abattit la tête, d’un coup de sabre ; puis il s’en alla.

Aussitôt le lever du soleil, le nouveau marié se rendit auprès de son père et lui dit :

— Je viens vous demander la permission de me marier, mon père.

— La permission de te marier ? Ne t’es-tu donc pas marié, hier ?

— Oui, mais ma femme est morte, mon père.

— Ta femme est morte !... Tu l’as donc tuée, malheureux ?

— Non, mon père, c’est vous-même qui l’avez tuée.

— Moi, j’ai tué ta femme ?...

— Oui, mon père : hier soir, n’avez-vous pas abattu d’un coup de sabre la tête de celle qui tenait un cierge allumé, près de mon lit ?

— Oui, la fille de la Terre ?...

— Non, mon père, c’était la jeune Morganès que je venais d’épouser pour vous obéir, et je suis déjà veuf. Si vous ne me croyez pas, il vous est facile de vous en assurer par vous-même, son corps est encore dans ma chambre.

Le vieux Morgan courut à la chambre nuptiale, et connut son erreur. Sa colère en fut grande.

— Qui veux-tu donc avoir pour femme ? demanda-t-il à son fils, quand il fut un peu apaisé.

— La fille de la Terre, mon père.

Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com/ )

Il ne répondit pas et s’en alla. Cependant, quelques jours après, comprenant sans doute combien il était déraisonnable de se poser en rival de son fils auprès de la jeune fille, il lui accorda son consentement, et le mariage fut célébré avec pompe et solennité.

Le jeune Morgan était rempli d’attentions et de prévenances pour sa femme. Il la nourrissait de petits poissons délicats, qu’il prenait lui-même, lui confectionnait des ornements de perles fines et recherchait pour elle de jolis coquillages nacrés, dorés, et les plantes et les fleurs marines les plus belles et les plus rares. Malgré tout cela, Mona voulait revenir sur la terre, auprès de son père et de sa mère, dans leur petite chaumière au bord de la mer.

Son mari ne voulait pas la laisser partir, car il craignait qu’elle ne revînt pas. Elle tomba alors dans une grande tristesse, et ne faisait que pleurer, nuit et jour. Le jeune Morgan lui dit un jour :

— Souris-moi un peu, ma douce, et je te conduirai jusqu’à la maison de ton père.

Mona sourit, et le Morgan, qui était aussi magicien, dit :

— Pontrail, élève-toi.

Et aussitôt un beau pont de cristal parut, pour aller du fond de la mer jusqu’à la terre.

Quand le vieux Morgan vit cela, sentant que son fils en savait aussi long que lui, en fait de magie, il dit :

— Je veux aller aussi avec vous.

Ils s’engagèrent tous les trois sur le pont, Mona devant, son mari après elle et le vieux Morgan à quelques pas derrière eux.

Dès que les deux premiers eurent mis pied à terre, le jeune Morgan dit :

— Pontrail, abaisse-toi.

Et le pont redescendit au fond de la mer entraînant avec lui le vieux Morgan.

Le mari de Mona, ne pouvant l’accompagner jusqu’à la maison de ses parents, la laissa aller seule en lui faisant ces recommandations :

— Reviens, au coucher du soleil ; tu me retrouveras ici, t’attendant ; mais, ne te laisse embrasser, ni même prendre la main par aucun homme.

Mona promit, et courut vers la maison de son père. C’était l’heure du dîner, et toute la petite famille se trouvait réunie.

— Bonjour, père et mère ; bonjour, frères et soeurs ! dit-elle, en entrant précipitamment dans la chaumière.

Les bonnes gens la regardaient, ébahis, et personne ne la reconnaissait. Elle était si belle, si grande et si parée !... Cela lui fit de la peine, et les larmes lui vinrent aux yeux. Puis, elle se mit à faire le tour de la maison, touchant chaque objet de la main, en disant :

— Voici le galet de mer sur lequel je m’assoyais, au foyer ; voici le petit lit où je couchais ; voici l’écuelle de bois où je mangeais ma soupe ; là, derrière la porte, je vois le balai de genêt avec lequel je balayais la maison, et ici, le pichet avec lequel j’allais puiser de l’eau, à la fontaine.

En entendant tout cela, ses parents finirent par la reconnaître et l’embrassèrent, en pleurant de joie, et les voilà tous heureux de se retrouver ensemble.

Son mari avait bien recommandé à Mona de ne se laisser embrasser par aucun homme et, à partir de ce moment, elle perdit complètement le souvenir de son mariage et de son séjour chez les Morgans. Elle resta chez ses parents, et bientôt les amoureux ne lui manquèrent point. Mais, elle ne les écoutait guère et ne désirait pas se marier.

La famille avait, comme tous les habitants de l’île, un petit coin de terre, où l’on mettait des pommes de terre, quelques légumes, un, peu d’orge, et cela suffisait pour les faire vivre, avec la contribution journalière prélevée sur la mer, poissons et coquillages. Il y avait devant la maison une aire à battre le grain, avec une meule de paille d’orge. Souvent, quand Mona était dans son lit, la nuit, à travers le mugissement du vent et le bruit sourd des vagues battant les rochers du rivage, il lui avait semblé entendre des gémissements et des plaintes, à la porte de l’ habitation ; mais, persuadée que c’étaient les pauvres âmes des naufragés, qui demandaient des prières aux vivants oublieux, elle récitait quelques De Profundis à leur intention, plaignait les matelots qui étaient en mer, puis elle s’endormait tranquillement.

Mais, une nuit, elle entendit distinctement ces paroles prononcées par une voix plaintive à fendre l'âme :

— O Mona, avez-vous donc oublié si vite votre époux le Morgan, qui vous aime tant et qui vous a sauvée de la mort ? Vous m’aviez pourtant promis de revenir, sans tarder ; et vous me faites attendre si longtemps, et vous me rendez si malheureux !... Ah ! Mona, Mona, ayez pitié de moi, et revenez, bien vite !...

Alors, Mona se rappela tout. Elle se leva, sortit et trouva son mari le Morgan, qui se plaignait et se lamentait de la sorte, près de sa porte. Elle se jeta dans ses bras... et depuis, on ne l’a pas revue.

 

(Conté par Marie Tual, dans l’ile d’Ouessant, en mars 1873.)

Morganed est le pluriel masculin de Morgan ;
Morganezed est le pluriel féminin de Morganès, en français Morganne.

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Date de dernière mise à jour : 12/08/2018