Sans souci au Paradis
Les aventures de Sans Souci Louargat
5 _ Sans souci au Paradis
Quand Sans souci revint à sa forge, l’Ankou était toujours prisonnier avec l’ange de la mort, à côté de lui.
Sans souci les réveilla, car ils dormaient profondément, et leur dit :
— « Il y a bien longtemps que vous êtes là à rien faire; partez, à présent, et travaillez bien, car on se plaint beaucoup de votre paresse, sur la terre et dans le ciel aussi ».
Ils se levèrent aussitôt, sans attendre qu’on le leur dît deux fois, et l’Ankou, brandissant sa faux, depuis si longtemps inactive, commença par Sans-Souci. Puis il partit et voyagea dans toute la Bretagne, besognant rudement, de manière à rattraper le temps perdu. Il multipliait ses coups avec une rapidité effrayante, comme un enragé, et les mortels tombaient et s’entassaient les uns sur les autres, comme l’herbe et les fleurs des champs tombent sous les coups des faucheurs, aux mois de juin et de juillet.
Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com)
Cependant, l’âme de Sans-Souci était montée au ciel, et elle alla tout droit frapper à la porte du paradis : Toc ! Toc !
— « Qui est là ? » cria saint Pierre, derrière la porte.
— « C’est moi, Sans-Souci ! Ouvrez-moi, s’il vous plaît ».
— « Sans-Souci ?... je ne veux pas te voir ; il n’y a pas de place pour toi ici ». Dit Saint Pierre
— « Et pourquoi donc, monseigneur saint Pierre ? » demanda Sans Souci
— « Te rappelles-tu le jour où, je voyageais en Bretagne avec Jésus-Christ ? Nous t’avons trouvé battant courageusement le fer sur l’enclume, dans ta forge, au bord de la route. Le Seigneur t’avais dit de faire trois vœux, et qu’il te les accorderait, quelles qu’elles fussent.
— « Oui, je me le rappelle très bien ». Dit Sans Souci
— « Je t’avais conseillé, trois fois, de demander le paradis. Mais tu ne ma pas écouté : tu as d’abord demandé que ton vieux poirier porte des fruits en toute saison, puis un fauteuil d’où l’on ne puisse pas se relever, une fois assis dedans, sauf avec ta permission, et enfin un jeu de cartes avec lequel tu gagnerais à tous les coups. Tout cela t’a été accordé. Mais tu n’as jamais demandé le paradis, malgré mes conseils ; tu m’as même traité de vieux radoteur. N’est-ce pas vrai ? » Demanda Saint pierre.
— « C’est bien vrai, monseigneur saint Pierre ; mais oubliez tout cela, je vous prie, et laissez-moi entrer. Il ne manque pas de place chez vous, je présume ? » Supplia Sans Souci.
— « Non, non, Sans-Souci, tu n’entreras pas. » répondit Saint Pierre.
— « Et où donc voulez-vous que j’aille ? » Demanda Sans Souci.
— « Où tu voudras ; chez le diable, si tu veux » Répondit Saint Pierre.
— « Chez le diable ? Je le connais bien, et j’ai déjà eu affaire à lui. Mais où demeure-t-il donc ? » Demanda Sans Souci
— « À la deuxième porte, à gauche » Lui dit Saint Pierre.
— « C’est bien ; alors, je vais aller le voir, car je n’ai pas peur de lui » Cria Sans Souci.
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Et Sans-Souci alla frapper à la porte de l’enfer, qui était la deuxième, à gauche : TOC ! TOC! TOC!
— « Qui est là ? » cria une voix de l’intérieur.
— « C’est moi, Sans-Souci », répondit-il.
— « Sans-Souci ! Eh bien ! N’espère pas entrer ici ! Nous n’avons pas oublié comment tu nous as traités, dans le vieux château d’où tu nous as chassés. Et puis ensuite, tu as vidé l’enfer et empêché d’autres d’y venir, en retenant l’Ankou prisonnier sur ton fauteuil. Va-t’en vite ! Va-t’en ! » Répéta la voix à l’intérieur.
Et on lui ferma la porte au nez.
— « Ah ! Me voilà bien ! » Se dit Sans-Souci ; « on ne veut de moi ni dans le paradis, ni dans l’enfer ! Il faut que je frappe encore à cette autre porte qui est là, au milieu ; peut-être me recevra-t-on là ? »
Et il alla frapper à cette troisième porte. C’était celle du purgatoire : TOC ! TOC! TOC!
— « Qui est là ? » cria une voix de l’intérieur.
— « C’est moi, Sans-Souci », répondit-il.
— « Sans-Souci ! Va-t’en, va-t’en vite, malheureux ! Tu nous as envoyé tout l’enfer ! Va-t’en vite ! Pars loin d’ici ! »
— « Décidément, on ne veut de moi nulle part ! » se dit Sans-Souci, bien embarrassé. « Je ne peux pourtant pas rester ici seul, dehors... Il faut que je trouve un logement quelque part. Je vais retourner frapper à la porte de saint Pierre ; il a, malgré tout, l’air bonhomme, et je trouverai bien quelque moyen de me faire ouvrir sa porte. »
Et il alla frapper de nouveau à la porte du paradis : TOC ! TOC! TOC!
— « Qui est là ? » cria saint Pierre.
— « C’est moi, monseigneur saint Pierre », répondit Sans-Souci.
— « Moi n’est pas un nom ; comment t’appelles-tu ? » cria saint Pierre.
— « Sans-Souci, monseigneur saint Pierre ».
— « Encore toi!... Mais je t’ai déjà dit que je ne t’ouvrirai pas : adresse-toi ailleurs » cria saint Pierre.
— « Mais, monseigneur saint Pierre, on ne veut m’ouvrir nulle part : laissez-moi entrer chez vous, je vous prie » demanda Sans Souci.
— « Non, non ! Tu n’entreras pas ici ; va-t’en, tu m’ennuies » répondit saint Pierre..
_ « Je vous en supplie, monseigneur saint Pierre, entrouvrez du moins votre porte un peu pour que je puisse jeter un coup d’œil par là et avoir une idée de ce que c’est que le paradis ». Demanda Sans Souci.
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Le Bon Dieu se trouvait dans la loge de Saint Pierre ; il était venu voir son vieil ami et causer avec lui, comme cela lui arrivait souvent. Il eut pitié du pauvre Sans-Souci, renvoyé de partout, et il dit à saint Pierre :
— « Entrouvre un peu ta porte, Pierre, et laisse-le jeter un coup d’œil dans le paradis ».
Et saint Pierre entrouvrit un peu la porte. Aussitôt Sans-Souci jeta son bonnet dans le paradis, aussi loin qu’il put. Puis il dit à saisit Pierre :
— « Laissez-moi entrer, mon bon saint Pierre, je vous en prie ».
— « Tu n’entreras pas, et regarde bien pendant que tu y es, car je vais refermer ma porte » cria saint Pierre.
— « Eh bien ! Vous me laisserez du moins aller chercher mon bonnet ? » Demanda Sans Souci.
— « Certainement, car il est trop sale pour que je veuille y toucher ; mais dépêche-toi » dit saint Pierre.
Et Sans-Souci entra, sans se le faire dire deux fois. Et il s’avança dans le paradis et se mit à courir le plus loin qu’il put.
— « Arrêtez-le ! Arrêtez-le ! » Criait saint Pierre.
Trois ou quatre anges coururent après Sans Souci pour l’arrêter. Mais Sans-Souci s’assit alors sur son bonnet et dit aux anges qui voulaient le faire sortir et à saint Pierre, qui était accouru, armé d’un bâton :
— « Ne me touchez pas ! Je suis ici sur mon bien, et personne n’a le droit de m’en chasser ».
Et en se tournant vers notre Sauveur, qui regardait cette scène en souriant :
— « N’est-ce pas, bon Dieu, vous qui êtes juste et qui connaissez les droits de chacun, n’est-ce pas que je suis dans mon droit, étant sur mon bien, et que ni saint Pierre ni personne n’a le droit de me chasser d’ici ? » demanda sans Souci
Et le bon Dieu dit :
_ « Sans-Souci a raison. Laissez-le donc tranquille, puisqu’il ne fait de tort à personne. Et puis Cher Saint pierre rappelle-toi que :
Quand, au Paradis tu es entré
C’est pour l’éternité
Armanel - conteur ( http://armanel.e-monsite.com)
Et voilà comment Sans-Souci entra dans le paradis, où il est sans doute encore.
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